Lorsque la critique du nazisme masque la haine de la culture allemande.

Ce livre parle-t-il de l'Histoire, de la condition de l'homme sur un plan historique, et si oui jusqu'à quel point? J'ai du mal à répondre à cette question. La première impression que ce livre m'a donné fut qu'il avait été écris par une femme dont le regard porte, avec acuité, sur des photos de famille. Il voit l'histoire comme une femme pleine de finesse, mais sans grande culture, voit ses photos de famille. Je ne mets pas de caractère négatif à cette impression, car la finesse a souvent plus d'intérêt qu'une érudition superficielle. Néanmoins, cela ne constitue pas véritablement une conception historique. Celle-ci tente selon moi d'apparaître à travers un sentiment d'incongruité, d'anormalité, d'étrangeté. On serait tenté de dire que cette époque est absurde, que des guignols ne peuvent arriver au pouvoir et mettre le monde au bord du précipice, bref que tout ceci est impossible. A vrai dire tout ceci est relativement bien connu, même si l'auteur a choisi des scènes peu connues de cette période. Dans un livre d'histoire militaire "Mythe de la guerre-éclair : La Campagne de l’Ouest de 1940" de karl-Heinz Frieser, un tel sentiment apparaît, masqué de par le statut d'historien, mais néanmoins plus honnête et mieux étayé. Malheureusement, Vuillard n'est pas capable de pousser ce regard suffisamment loin, de le porter en conscience sans vaciller. S'il pouvait le faire, on arriverait à une idée comme celle-ci "l'homme a perdu sa condition historique, on lui a volé, il doit la retrouver!". Nous aurions alors un mythe fondateur de l'époque moderne, un peu à l'image des mythes grecs. Le sentiment d'incongruité, d'anormalité, d'étrangeté relatif à l'histoire ne peut pas exister si l'homme ne se ressent pas dans une forme d'extériorité à lui-même... L'homme devrait alors se retrouver lui-même.


A la place de cela, qu'avons nous? Des jugements prétentieux et faciles, réalisés à posteriori quand tout est déjà décidé :
- ses dénonciations des profiteurs et arnaqueurs qui ont mené le monde au chaos mériteraient d'être plus nuancées, et pour le coup, de faire preuve de davantage de finesse. G. Krupp était-il une ordure? Il achète la tranquillité auprès des nazis comme il l'aurait achetée auprès d'autres formations politiques. Krupp gère ses affaires dans les années 30, en 44 il ne gère plus rien. Il n'est plus qu'un commis d'un état en guerre totale. Il n'avait pas le choix de prendre des travailleurs forcés (les hommes sont au front, qui reste t il pour travailler?), en revanche, il avait peut être la possibilité d'améliorer leur condition de travail, d'éviter leur extermination. Il y a une part de détestation sociale qui se glisse dans les propos de Vuillard. Sans doute sommes tous enclin à la ressentir lorsque les conditions extérieures apparaissent immensément injustes et cruelles, mais il n'est pas souhaitable de l'entretenir. Ce sont de tels sentiments (i.e. l'immense détestation des profiteurs de guerre et des sacrifices de guerre dans les années 20) qui ont été repris, déviés et utilisés contre les juifs dans les années 30.
- la perception des réalités populaires par M. Vuillard semble très limitée. La machine à coudre d'Opel, ne lui déplaise, a dans doute facilité la vie concrète des travailleurs et/ou des ménagères de l'époque. Les présentations des grandes entreprises faites par M. Vuillard sont tout simplement inappropriées et relèvent d'une méconnaissance de ce milieu. Sur le caractère de permanence des entreprises et surtout des noms, des marques, et bien, il s'agit là d'une perception petit-bourgeois! Le petit-bourgeois ne parvenant plus se créer des ancrages historiques dans le domaine de la culture, il s'en crée dans le domaine des intérêts économiques qui lui reste accessible!
- M. Vuillard nous livre ses considérations authentiquement germanophobes de manière limpide page 33 "après les délires d'Herder et le discours de Fichte, depuis l'esprit d'un peuple célébré par Hegel et le rêve de Schelling d'une communion des coeurs, la notion d'espace vital n'était pas une nouveauté". Ces propos sont stupides et faux. Où trouver la notion d'espace vital prise comme un besoin d'envahir et exterminer ses voisins chez ces auteurs ? M. Vuillard peut il seulement nous donner quelques références symboliques à défaut d'être explicites? A t il lu Herder, Fichte, Schelling et surtout Hegel, le très difficilement accessible philosophe idéaliste? La culture allemande a pu prospéré dans un environnement assez bigarré sur le plan culturel, car tel était bien le cas de l'Europe du centre au 19ème siècle. Le nazisme n'a pas prospéré sur la culture allemande, mais contre elle.
Il est absolument impossible qu'une phrase de ce type passe à travers les lectures des jurés du prix Goncourt. Nous voilà donc prévenus sur ce qui anime les milieux littéraires influents en France : le goût des convenances, la haine de la culture allemande et un certains bon sens relatif aux profits tirés de l'impression. Un livre assez peu épais et les ingrédients précités en feront un succès inévitable de librairie si on lui accole un prix prestigieux. On peut même y glisser une subtile nuance : les jugements prétentieux et faciles que j'évoque ci-avant, peuvent échapper à un lectorat adolescent, non pas du fait de défauts propres à la jeunesse, mais d'un manque d'expérience de la vie. Un succès de librairie trouve donc son potentiel maximum lorsque l'on offre à la jeunesse la possibilité d'une déchéance dans le sens du jugement. Nul doute que l'Education Nationale saisira cette occasion d'édifier la jeunesse sur les dangers du nazisme...

Akilius
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le 5 déc. 2017

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