Homo deus
6.8
Homo deus

livre de Yuval Noah Harari (2015)

le marriage de la carpe asiatique et du lièvre occidental

Cet ouvrage s'articule autour d'une interrogation sur la forme de l'avenir, avec notamment diverses questions relatives à l'influence de la technologie. Hubert Guillaud a fait une très bonne critique, je vous invite vivement à la lire.


J'ai éprouvé un intérêt certain à lire cet ouvrage, non parce que je m'identifie aux propos de l'auteur, mais parce qu'il comporte quelques aspects forts intéressants que j'aurai aimé présenter, mais je n'en aurai pas la place. Pour prévenir le lecteur, ces pépites sont cachées dans des gangues ; il faut se méfier de ce qui brille... En matière d'analyse critique, cet ouvrage offre des perspectives exceptionnelles.


Harari aborde bien d'autres aspects que la technologie, de sorte que le thème abordé tend véritablement à vous glisser entre les mains. Homo Deus est un essai ; il ne se rattache pas à une thématique que l'on pourrait qualifier de scientifique ou historique. On rattacherait plutôt cet ouvrage à la psychologie sociale. Harari fonde son ouvrage sur des impulsions psychologiques (les rêves d'immortalité, de bonheur et de divinité) et souhaite s'assurer que ces impulsions sont en quelque sorte fondamentales. Quel critère de preuve retient il alors? Que Google investit en ces domaines! Le critère ultime de preuve est de nature économique. Harari ne souhaite pas penser l'Economie, mais l'homme qu'il décrit (le bourgeois occidental) en est l'expression. Il devrait parvenir à la conclusion que son ouvrage doit s'appeler Homo Economicus. Pourquoi n'avoir pas écrit cet ouvrage? Lorsque Harari affirme que la technologie est une religion, le débat est totalement transformé, la technologie disparaît, les questions culturelles et spirituelles passent au premier plan.On touche ici au point le plus délicat de l'ouvrage.


Je limiterai mes propos à la question suivante "A quel dieu ou religion, Homo Deus s'adresse-t-il?", car ce n'est ni l'humanisme, ni le dataisme.


La religion qu'évoque Hariri présente les apparences du bouddhisme : il indique pratiquer la méditation Vipassana et remercie son défunt maître S.N. Goenka, il se livre à une étrange démonstration qui passe par la conscience animale et à une autre (quasi ahurissante) selon laquelle l'homme n'a pas une âme immortelle dotée de qualités spirituelles mais un esprit doté de qualités animiques, il indique que le moi n'est qu'une illusion, il valorise la pratique spirituelle asiatique (le "voyage" spirituel) et a totalement délaissé l'aspect matériel de l'existence dans sa conclusion.


Néanmoins, les caractéristiques du bouddhisme évoquées précédemment sont éclipsées par de très violentes attaques contre l'Occident monothéiste (notamment chrétien) : Harari présente le nazisme comme un phénomène social "évolutionniste"(une des pires insultes formulable contre l'Occident, le nazisme étant un phénomène régressif foudroyant), conteste le libre arbitre humain, se livre à des attaques haineuses répétées contre les religions monothéistes, met en avant une étymologie contestable du nom Eve dans une optique à peine voilée de renforcer les théories fumeuses sur le complotisme reptilien...


Ce n'est donc pas le Bouddha Gautama qui a inspiré cet ouvrage! Le bourgeois occidental souhaiterait s'approprier des éléments culturels venant d'Orient, mais ne veut même pas faire l'effort de s'approprier la sienne. Son échec mettra en avant de puissants déterminismes sociaux.


Pour en revenir au dieu douteux de Homo Deus, on peut en présenter quelques aspects :
- il incite à la haine entre Orient et Occident, là où l'époque actuelle nécessiterait les efforts les plus considérables dans le sens d'une compréhension élargie ;
- il exige un tribut de la part de ses scribes sous la forme d'une négation d'eux même ;
- il cherche à placer des déterminismes dans la pensée des lecteurs là où ils ne s'imposent pas ;
- en revanche, il bute contre les formes du langage humain, d'où les contorsions de rédaction. Par exemple, une chose impossible ou absurde est affirmée (on est bien parti pour être immortel ou encore l'être vivant biologique est un algorithme), puis on dit le contraire juste après.
Ce dieu mène au sous-homme et non au sur-homme!


Prenons pour terminer une illustration fournie par l'auteur page 72 :
"Etudier la tactique d'Hannibal dans la seconde guerre punique pour l'imiter dans la Troisième Guerre mondiale n'est qu'une perte de temps. Ce qui marchait bien pour la cavalerie sur le champ de bataille ne sera pas nécessairement très profitable à la cyberguerre"


Le lecteur devrait relire les premières pages de l'ouvrage et méditer longuement pourquoi le terme Troisième Guerre mondiale figure à la place de la guerre du futur.


M. Harari qui fut historien de questions militaires ne peut guère ignorer que la bataille de Cannes est encore étudiée par tout officier supérieur occidental, non sans raison, et a servi de référence aux académies militaires prussiennes du 19 et 20ème siècle. Si l'Humanité doit revivre une guerre totale entre un bloc occidental, et disons un bloc asiatique, la cyberguerre ne fera pas la différence. On reviendra à des champs de batailles et probablement à une guerre de mouvement.


Il existe en revanche une différence entre étudier la tactique de Hannibal et l'étudier lui-même. Hannibal Barca fut un des plus grands génies militaires de tous les temps. En tant que représentant de l'univers méditerranéen antique, il était tout entièrement imprégné d'une forme de sensibilité très puissante. Ses tactiques sont grandioses mais son génie repose sur une forme de sensualisme sans lequel les actions du stratège ne s'intègrent pas naturellement avec celles des soldats. Le stratège des temps modernes ne peut s'appuyer sur une tel état d'âme. Il devra au contraire ressentir un combat intérieur ; est-il celui qui conduit le combat ou celui qui est conduit par le combat? Le monde moderne est plus un état d'âme que de technologie.

Akilius
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le 22 juil. 2018

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