L’ornière de Hermann Hesse est un petit roman écrit antérieurement à Demian et Le Loup des steppes, deux classiques de l’auteur. Nous suivons les aventures de Hans Giebenrath, venant d’une famille modeste dont le père est bien loin de toute considération élevée, même l’antithèse de toutes qualités, et sa mère a disparu depuis bien longtemps.
Le village où il habite espère qu’il puisse atteindre de grandes ambitions du fait de son intelligence, ne serait-ce que pour faire la notoriété de la région. Pour la première fois, ce bonhomme ira dans une grande ville – Stuttgart pour être précis – afin d’y passer les examens d’Etat qui lui permettront d’être séminariste.
Du moins pour un temps, car s’il s’acharne de travail pour être major de sa classe. La rencontre d’un camarade bohémien et rebelle (Hermann Heilner) changera sa vision de l’art, critiquant au passage le système scolaire. Nulle doute quant à rapprocher ce récit à l’expérience vécue par Hermann Hesse durant sa jeunesse dont Hermann Heilner est un des avatars et les rapports conflictuelles qu’il entretient avec son milieu d’origine.
Citation de L’ornière, pages 123-124, Livre de poche :
De toute façon, Heilner leur semblait déjà inquiétant depuis longtemps à cause d’un certain côté génial – entre les génies et le corps professoral, il a de toute éternité existé une faille profonde; et ceux d’entre eux qui se révèlent à l’école sont, pour les professeurs, un objet d’horreur. Pour eux, ces génies sont des mauvais garçons ignorant le respect, commençant à fumer à l’âge de quatorze ans, tombant amoureux à quinze ans, allant au café à seize ans, lisant des livres défendus, écrivant des essais impertinents, regardant à l’occasion le professeur d’un oeil moqueur et qui sont notés dans les registres comme des mauvais esprits et des candidats aux arrêts. Un maître d’école préfère avoir dans sa classe plusieurs ânes qu’un seul génie. Et à tout prendre, il a raison, car sa tâche n’est pas de développer des esprits extravagants, mais de former de bons latinistes, des mathématiciens convenables et de braves gens. […] Plus tard, lorsqu’ils sont morts, auréolés des nimbes flatteurs de l’éloignement, ils sont représentés par les maîtres d’école aux générations nouvelles comme des exceptions et de nobles exemples.
C’est ainsi que se répète d’école en école la comédie de la lutte entre la lettre et l’esprit. Nous voyons constamment l’Etat et l’école s’efforcer, suant et soufflant, d’écraser dans l’œuf les quelques intelligences plus profondes, d’un plus grand prix, émergeant chaque année.
Plus tard séparé de son ami auquel il a quelques sentiments – ce dernier étant renvoyé pour mauvaise conduite – il tombera dans une lente et progressive dépression pour revenir dans son lieu natale jusqu’à la fin tragique. Plongé dans un état mélancolique et se rendant peu peu à compte de la nocivité de se poser de trop grandes ambitions et comment l’institution le détruit aussi bien sur un plan créatif que spirituel. Egalement dégoûté par les adultes qui n’y voit qu’en lui qu’un réceptacle qui fera la bonne réputation du village et deux déceptions amoureuses.
Au sein de ce récit de plus de 200 pages, l’auteur allemand donne à voir l’hypocrisie (tout le monde fait fit de la détresse de Hans qui en vient à devoir supporter son malheur seul) d’une société et l’égoïsme des êtres ne songeant qu’à leur propre intérêt. Sans parler du conservatisme sacralisé de méthodes d’enseignements que nous verrions comme archaïque aujourd’hui.
Sans mentir je suis un grand admirateur de Hesse et dois dire que la lecture fut fort agréable. On pourra sortir que ce n’est pas du même calibre que ses romans les plus connus et qui sont la raison même de son prix Nobel, mais on nous donne à voir un jeune Hermann Hesse à ses débuts et une histoire nous faisant ressentir de l’empathie pour son personnage principal et pour les personnes les moins loties qui ne saurait être considéré comme des inférieurs, tel est le message transmis dans la dernière partie du livre ou encore les pointes d’ironies du narrateur externe disséminés dans le roman, ne manquant pas de critiquer la bourgeoisie. Sur certains plans – en particulier sur une institution qui aime à se distinguer, érudit et au-dessus du reste du monde extérieur – cela nous rappellera le magnum opus de l’écrivain : Le jeu des perles de verre.
Enfin, voir les premières lignes de cet auteur comme un autre nous permet d’imaginer que le temps fait son affaire pour trouver sa propre dialectique qui ouvre à nos lecteurs, qui en retour aimeront nous lire. Et Hermann Hesse est de ces auteurs que je ne saurais me passer.