L'atelier
L'atelier

livre de Sarah Manigne (2018)

Voila un petit roman (par la taille) d’apparence tout simple, tout doux, tout effacé, évanescent disent certains, flou, disent d’autres… au point qu’ici, personne n’en a parlé. Eh bien personnellement je trouve que c’est une perle du genre ! Et j’aime !
Ce qui m’a attiré dans ce livre, au départ, c’est l’aspect peintres et peinture, car tout ce qui touche à la peinture et à la création artistique m’interpelle, cela tient à mes vingt années passées dans un atelier de peintres amateurs. Et puis j’ai découvert bien d’avantage…
L’atelier est donc le premier roman de Sarah Manigne laquelle est née à Paris en 1976. Après des études d’histoire, elle aide à la réalisation de documentaires divers, sur TV5 Monde, entre autres. Elle est actuellement responsable des première années au département des enseignements de La Fermis (Ecole Nationale Supérieure de l’Image et du Son). Lorsqu’on lui demande combien de temps cela à pris avant la publication de ce premier roman, elle répond qu’elle avait mis de côté des morceaux de textes et qu’en 2016 quelqu’un l’a poussée à en reprendre l’écriture. Ça lui a pris presque une année. En octobre 2017, Isabelle Gallimard lui annonçait qu’elle souhaitait la publier à la rentrée 2018… Ce fut, pour elle, l’année de la patience !
Donc, le voila ce petit roman (112 pages). Bien que je n’en aie jamais lu, il me semble qu’il est écrit comme un journal intime, à la première personne, c’est Odile qui parle. Elle parle de son enfance, de sa jeunesse, de son adolescence et… de sa naissance !
Odile est la fille d’un couple étrange. Son père Louis est un peintre qui acquière de plus en plus de notoriété grâce à sa femme Educhka qui lui a attribué un nom d’artiste, Louis Capelan. Sa mère, Educhka donc, Dans un premier temps, m’a fait penser à “Folcoche” d'Hervé Bazin. Elle n’aime pas sa fille. Elle l’ignore. C’est une erreur, une gêne, quelque chose dont il faut se débarrasser. Elle ne lui parle pas, ou alors par personne interposée, en s’adressant, par exemple, à la gouvernante :
« Donc, elle ne me parlait pas. Et moi ? Moi, je parlais trop lentement pour m’adresser à elle. Je suis dotée d’un très léger bégaiement, presque indistinct la plupart du temps. Je commençais et elle déclarait : Mademoiselle, Odile a-t-elle la moindre idée de ce qu’elle a à me dire ? »
Alors, ON s’en débarrasse, dans des écoles de plus en plus éloignées, ON la confit au père du peintre, dit “le comptable” lequel habite au “mouroir” (très sympa ces petits-noms) … A la mort du comptable ON l’envoie en pension en Suisse et, comme elle s’ennuie dans sa chambre solitaire et austère elle décide d’en décorer les murs par de grandes fresques… Le directeur alerté vient constater les dégâts et, pour la punir… lui fait donner des cours de peintures !
Quelques années plus tard, épaulée par Armand, le galeriste de son père, elle travaille jusqu’à l’épuisement pour préparer sa première exposition sous son nom à elle (la fille de Capelan n’existe pas !) :
« Sur les toiles, il n’y a que la couleur qui m’occupe. Ma raison me semble éphémère, je ne sens que par la couleur. J’en pose une à côté de l’autre, juxtaposées, elles se confondent. Il faut que ça sonne, que ça vibre. […] Un après-midi, j’ai déroulé la toile à même le sol, et, collée à elle, sans recul, j’ai trouvé ma vision. J’y ai mis les doigts, j’ai tenu le couteau pour y tracer des empâtements. Je dansais autour du cadre. Et puis j’ai dilué chaque jour un peu plus les peintures. La couleur goutte, se répand. Je garde les coulures. Je sabote les aplats. Je racle les couches épaisses et j’aime le bruit de la spatule et du couteau, cette sensation d’alléger la toile, d’enlever l’écorce pour aller à la sève. Même si, en réalité, je ne retire que ce j’ai moi-même ajouté et ne découvre au final rien de ce que j’espère.
Je suis quelques heures en état de peinture et je sais où je vais. Avec l’épuisement, le sommeil vient enfin, mais au réveil, je ne comprends plus […] Je crois que quelque chose en moi sait où je vais. Je vois la toile. Et puis au final, même quand je la trouve bonne, j’ai le sentiment qu’il y a une trop grande part de hasard.
»
Quelle vision juste ! C’est du vécu, Mademoiselle Manigne !... En tous cas, je l’ai vécu, se laisser emporter par ce que je pense être l’inspiration, la certitude d’être sur la bonne voie et de retrouver sa toile le lendemain, ou la semaine suivante en se disant « Mais non, ce n’est pas ça. Ça ne vaut rien ! C’est mauvais de chez mauvais ! ... »
Enfin, une amie est venue voir Odile et l’a regardée :
« Odile, je t’ai regardée peindre. C’est un instant rare. Un état de grâce. J’ai vu tes pieds danser, tes pas chassés autour de la toile. C’est d’une beauté époustouflante. J’ai vu tes yeux s’enflammer. Tu tournes, tu cherches, puis tu te rapproches, le nez presque collé au cadre, à la matière. Un genou à terre, la paume gauche appuyé au sol, la main droite tenant fermement le pinceau, puis le lâchant soudain pour que tes doigts entrent dans la couleur. Tu as trouvé. Et je t’ai vue heureuse. »
Quel est le peintre qui n’a pas osé lâcher son pinceau et étaler la couleur directement avec ses doigts, c’est tellement sensuel, tellement charnel… c’est faire l’amour à sa toile !
De nature résolument optimiste, j’interprèterai la fin du récit à ma façon : Grâce à son exposition réussie, et tant-pis/tant-mieux si sa mère la rejette encore une fois, et tant-pis/tant-mieux si son père n’a rien compris, et même si Armand, le galeriste joue auprès d’elle le rôle castrateur qu’a joué sa mère près de son père, par cette exposition, elle est née.
D'autres lectures sont possibles, beaucoup parlent d'effacement, d'autodestruction de mort... J'aimerais tant que cette jeune fille vive et s'accomplisse...


Sous une approche douce et discrète, il s’agit d’un roman riche et fort. La valeur ne se chiffre pas au nombre de pages.

Philou33
10
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Créée

le 19 janv. 2019

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Philou33

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