J'ai toujours été fasciné par l'innocence, sans doute parce que la mienne fut soit de courte durée, soit enfouie, inaccessible dans ma mémoire. J'en suis fasciné par sa construction, mais pleut-être encore plus par le fait qu'elle se prouve par la désillusion systématique, le désenchantement qui l'accompagne.


Quand on s'intéresse à Darger, on voit normalement l'oeuvre de l'innocence : des petites héroïnes à sexe masculin auxquelles il arrive sans cesse de faire la guerre, de se bagarrer, d'affronter des paraphrénies mythologiques, des monstres préhistoriques ou des incendies cocasses.


On ne lit par "L'histoire de ma vie" de Henry Darger pour sa littérature. Ni... pour son titre. Ah ça non. Des ellipses, des coq-à-l'âne, une écriture factuelle mais dénuée de toute âme, comme digne d'un rapport de brigadier, il ne faut pas s'attendre à aimer ce dépouillement murmuré par un vieux souillon boîteux qui raconte sa simplicité et son innocence.
Entre les rapports météorologiques et les grands incendies, on trouvera le portrait entre les lignes d'une vie face à la nature, se cognant à son corps et aux choses, une vie exploitée et évaluant tantôt l'autorité des adultes et tantôt la cruauté et/ou l'incompétence des subalternes.


Difficile, hormis les notes, de trouver dans ce livre la clef du mystère des Vivian Girls et leur dizaine de milliers de pages qui retracent leurs épopées. "Je suis un artiste à présent, je le suis depuis de nombreuses années" résonne comme un étrange euphémisme. Comme si son oeuvre était secondaire. Un passe-temps. Ou alors, c'est à croire que ces petites transsexuelles blondes aient tout dévoré de la vie de Darger, dévoré comme des langues incendiaires lèchent une âme calcinée. Ainsi aura-t-il pu panser sa plaie, sa longue plaie.


Il semble que toute sa vie ait été dédiée à ne vouloir qu'une chose : aller où ce qu'on lui demande d'aller et de faire, tout le reste ne regarde que lui. Et je me retrouve totalement dans cette volonté de faire passer le quotidien pour un arrière-plan secondaire, pour que seul importe une oeuvre personnelle, une fresque intime et au long cours. Peut-être que ce livre est finalement le témoignage de l'insipide qui nous marque sans chaleur la plupart du temps, histoire ponctuée de grands événements qui, au bout du bout, ne sont pas si impressionnants - ce qui importe semble être un grand détachement de soi vis à vis de cette vie très précise et réduite à sa plus simple expression.

Andy-Capet
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le 2 oct. 2016

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