L'organisation est un roman un brin déstabilisant. Tout commence dans un port soviétique (indéterminé, mais à priori plutôt dans le Sud du pays. Sans doute en Ukraine) peu avant les J.O. de Moscou de 1980. On y suit dans un premier temps les pérégrinations d'une jeune fille, Rosa, souhaitant intégrer l'université et y apprendre l'anglais.
En attendant de pouvoir réussir les concours d'entrée, elle accepte un travail alimentaire sur les quais du port commercial, dans le bureau SSE - 2, chargé de l'inspection des navires entrant au port. Elle passe dés lors ses journées dans un désœuvrement presque total, à lire Angélique et le Nouveau-monde (dont plusieurs citations émaillent le récit) et à rêver d'ailleurs.
Tout cela est, disons-le, fort peu passionnant et on pourrait craindre un livre ennuyeux. Sauf qu'on comprend rapidement (en tout cas bien plus rapidement que notre brave jeune fille), que le SSE - 2 est plus que le banal bureau de la capitainerie dont il veut bien se donner l'apparence. Car en réalité, le SSE - 2 est chargé de veiller à ce que les "esprits" et autres "démons" étrangers ne profitent pas des navires pour entrer sur le territoire soviétique.
Sauf que ces esprits, démons et autres chimères sont considérés comme des "superstitions", dont la réalité même est niée par l'idéologie soviétique. Ils doivent donc composer avec une hiérarchie (soviétique qui plus est !) peu encline à leur accorder du crédit, des moyens dérisoires, et des marins qui les voient comme des fouineurs et des empêcheurs de faire de la contrebande en paix.
Et tout le sel du roman est là, dans ce contexte soviétique très dépaysant, avec sa bureaucratie, ses files interminables au magasin alimentaire, sa paranoïa des tentatives de déstabilisation venues de l'ennemi américain, et j'en passe !
Et quand un esprit amérindien fini par vraiment s'inviter et parvient à passer à travers les mailles du filet du SSE-2, le quotidien de la petite ville russe s'en trouve vite chamboulé.
Je pourrai reprocher au roman un démarrage un peu lent et pas forcément évident à suivre, mais ce serait pinailler car je pense que cette sensation est due pour partie au contexte soviétique du roman (avec lequel je ne suis évidemment pas familier), mais aussi parce que ce début tout en lenteur permet à l'auteure de poser son cadre et ses personnages (eux aussi assez déstabilisant au demeurant).
Le tout est très réussi, et fournit un roman ma foi fort convaincant.