Voilà un roman monstre qui brasse avec jubilation tous les clichés du roman antiquisant : pures danseuses, gladiateurs ensanglantés, martyrs jetés aux fauves, décadence rageuse, présages inquiétants, catacombes terrifiantes, patriciens corrompus…

Rien ne vous sera épargné, dans cette folie bicolore jetant sur la page autant de sang que d’encre, des topoï que l’on attache à une Rome claudienne dominée par le monstre Messaline (figure centrale du roman, tissant, arachnéenne, la toile de luxure, dévoration, désirs échevelés, trahisons, mensonges, complots… dans laquelle s’engluent les autres personnages), comme des outrages les plus fameux que l’idée de décadence engendre (une impératrice à la sensualité plus exacerbée que Vénus elle-même tentant de violer qui se refuse à ses ardeurs ; une chrétienne, pure vierge effarouchée, livrée à un plantigrade qui, entre dévoration et copulation, choisit la dernière solution…).

Champsaur s’amuse à choquer par des scènes d’une boursouflure crapuleuse et une intrigue aux rebondissements improbables. Il joue à repousser les limites de notre fascination pour l’antique, en mêlant une exploration érudite d’un certain contexte historique (en dehors de l’utilisation d’un Colisée anachronique, la description minutieuse du quotidien de l’époque, habilement glissée dans les failles du récit, est une merveille d’exactitude) à une grande variété de registres (tragique Tanagra au destin poétique–mourir pour avoir dansé !- ; terrible Messaline, personnage de farce autant que de drame ; pathétique Filiola, livrée au stupre d’un bordel pour être mieux sacrifiée, humiliée par les ardeurs d’un ours), titillant, par ses constants brassages stylistiques, l’adhésion de son lecteur à son texte.

Il va même jusqu’à s’amuser à re-pétrir la matière même du texte, jouant à faire tâtonner la langue pour mieux la faire cloquer et déborder, quittant la forme du roman pour des pastorales érotiques ou des extraits de théâtre, afin de mon(s)trer toutes les capacités du sous-genre (le roman antiquisant – saluons au passage la riche préface d’Hugues Béesau, qui prépare admirablement à une lecture éveillée et réactive !) dont il a décidé de réinventer la substantifique moelle, quitte à la faire éclater en joyeux geyser sanguinolent.

Il y a du Tarantino avant l’heure, dans cette grande foire jubilatoire oscillant entre série Z et jeux stylistiques, qui, en se refermant sur la silhouette de Néron, laisse entr’ouverte la possibilité d’autres sangs généreusement versés.
LongJaneSilver
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le 6 oct. 2013

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