Qu'on lapide, tonde ou saint-barthélémyse, qu'on torture dans un parc ou dans une cave, voire simplement qu'on colporte un ragot assassin, le lynchage est une constance effrayante de l'histoire dite humaine.

"La Bête qui sommeille" raconte 24 heures de la vie d'un bled paumé de l'Amérique profonde, juste avant la seconde guerre mondiale. L'endroit, petit port ostréicole, n'est ni riche ni gai et ses habitants pas davantage. 24 heures dans le vent glacé d'octobre, pour une chasse à l'homme, une hystérie collective et l'épouvantable supplice infligé à Jim, un jeune noir.

Jim n'est pas innocent: abruti par l'alcool vendu au prix fort par les Blancs, il a violé et tué une femme. C'est une des forces du livre. Car parce qu'il est coupable, ce n'est pas une sauvagerie primitive qui explose sous nos yeux, mais, plus odieuse encore, une barbarie qui trouve à se justifier. Ici, le racisme se couvre de haillons de justice et c'est la bonne conscience qui ouvre à la cruauté "la porte de sa cage".

Et quelle cruauté ! Le crime de la foule dépassera en horreur le crime de Jim. Et pour que tout soit clair, une sorte de miroir est avancé au lecteur: le plus civilisé des personnages, un nommé Al, est aspiré peu à peu, hors de sa conscience claire, dans le délire de la foule. Malgré son amitié pour Jim, en lui aussi se réveille la bête.

Le roman de Don Tracy, auteur méconnu, est d'une impitoyable efficacité, poignant comme un chant mais précis comme un constat. Et sans illusion: après un jour et une nuit de lâcheté et de folie, la petite ville se réveille sous un soleil d'hiver, "dans un calme froid et patient". S'est-il seulement passé quelque chose ? La communauté noire, elle, se terre dans ses bicoques. "La ferme, négro ! Tu veux nous mettre toute la bande sur le dos, avec tes gueulements, c'est ça que tu veux ?". Ainsi parle un Noir à l'un de ses frères.

Don Tracy a écrit son roman il y a prés de quatre-vingts ans, au XXème siècle. On peut toujours se dire que ce siècle était barbare et que la Bête dort aujourd'hui à poings fermés. Ou pas.
coupigny
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le 13 déc. 2014

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