Le moins qu’on puisse dire est que je ne sors pas plus avancé de la lecture des 33 contributions qui forment ce recueil. Oscillant entre psychologie d’obédience analytique et psychanalyse franche, ils s’ancrent à peu près tous dans un a priori résolument dubitatif quant à la catégorie « surdoué », au mieux, quant à l’idée qu’il y aurait même possiblement là quelque chose à regarder de façon spécifique.


Autant je puis éprouver de la sympathie pour des approches qui refuse de réduire l’individu à ses composantes psychométriques (et plus encore au simple fétiche du nombre ou de la place sur une courbe de Gauss), autant je me lasse d’épistémologies ad hoc ne posant jamais la question du statut de l’outil psychométrique dans la pratique (tous les psychologues semblent pris au piège de leur outil), et n’ayant donc pour la plupart aucune réflexion sur l’articulation de l’outil avec la théorie, psychanalytique, sur lesquels ils s’appuient.


C’est dire l’indigence du contenu, qui oscille entre déploration de l’instrumentalisation des tests par les parents et anathèmes sur l’état de la société à grands coups de placage de concepts lacano-freudiens où le grand Autre a la part belle puisqu’il determinerait, pour une large partie des intervenants, le lieu du surdoué, confortablement confondu avec le tout-sachant, en tant qu’il refuserait de se confronter aux limite que la demande qui en vient lui impose. S’il est plausible que certains, surdoués ou pas, se retrouvent dans la position de compilateur savant (je suis bien placé pour le savoir :D) ce n’est en revanche, et de loin, pas le cas de la majorité des surdoués (si l’on accepte de placer dans cette catégorie tout individu dont le QI a été évalué de façon homogène à plus de 130).


On ne saura jamais trop vraiment de quoi on parle : de la demande des parents (l’accent n’est mis que sur les enfants), du retentissement de la déclaration d’une douance sur l’enfant, sur la fratrie, de la valorisation ambiguë de ce trait par la société, d’une adaptation de l’enfant (pour beaucoup, ce n’est pas une caractéristique), de comportement boulimique-automatiques envers le savoir, de remise en cause de la parole professorale, de handicap ou spécificité, de normalisation ? Aucune articulation claire ne se dégage.


A vouloir (mal français !) que l’enfant surdoué soit juste un enfant, on nie qu’il puisse avoir des besoins spécifiques le positionnant dans une catégorie particulière. Ainsi l’on assimila longtemps les sourds à des handicapés mentaux, pour ensuite exiger d’eux qu’ils soient parlants - ramenés donc dans la catégorie du tout-venant. Je ne force ici le trait qu’à ramener à la moyenne de ce qui se dit au fil des articles ce qu’on trouve dans les plus radicaux. Les plus fins, et ils sont rares à ne pas se contenter du rabot ou du marteau de la vulgate analytique prise pour science, savent jouer des spécificités de la différence pour la réinscrire souplement dans l’histoire singulière d’un sujet. Pour les autres, je m’émerveille qu’au nom du combat contre le fantasme des parents, accusés d’assigner leur enfant à une place de surinvestissement intellectuel du fait de la course à l’échalote qu’est devenu le jeu social, il assignent le dit enfant à une place non moins normative définie par l’idée d’une normalité psychique telle qu’elle s’exprime chez les thuriféraires les plus dogmatiques de Freud ou Lacan. C’est dire que le plus souvent, de l’enfant, il n’est pas question - on évoque sa singularité, sa capacité à devenir, mais au nom d’une liberté, si l’on veut, dont il ne définirait pas, jamais, les termes, pris qu’il est entre le désir, et donc les modèles voulus pour lui, de ses parents d’un côté, de l’analyste de l’autre. On objectera que ces désirs ne sont pas équivalents, et j’en convient, pour peu que l’analyste le soit vraiment.


De quoi parle-t-on le plus souvent ici au fond ? De deux choses, il me semble. D’une part de la lutte de la psychanalyse contre les modèles de scientificité appliqués à l’individu. Elle s’exprime dans des thèses (jamais des hypothèses, rarement programmatiques) dogmatiques sur ce qu’est un sujet, ou plutôt ce qu’il n’est pas : collection de chiffres et de déterminations par les désirs parentaux. On n’a guère besoin de psychanalyse pour developper ce genre de postures, mais elle donne, disons, un avantage d’autorité dans le débat, elle confère la puissance de la théorie à qui parle. Puissance frelatée, puisque dans cet usage précis, la théorie analytique ne pouvant se servir de ses vignettes cliniques comme d’éléments cruciaux - elle leur applique a priori ses propres critères d’interprétation -, elle a essentiellement valeur de dogme, ses énonciations ayant alors plus valeur théologique que scientifique.


Et d’autre part, d’un immense embarras des protagonistes devant la spécificité - le fait que des individus puisse se retrouver dans des cases spécifiques non prévues par la théorie analytiques, entre généralité et singularité. Il y a là comme un scandale inassimilable, quelque chose qui vient de l’Autre de l’analyse et que l’analyse ne peut reconnaître. Et que les analystes n’ayant pas achevé leur trajet analytique ne peuvent accepter, refusant de facto ce qu’ils appelleraient eux-mêmes la castration, à savoir la limitation au désir de toute-puissance qui peut s’incarner, à mon sens paradoxalement, dans le discours analytique ainsi fait parole théologique. Et de fait, on trouve dans bien des articles des anathèmes ex cathedra, des replis des différences sur les typologies d’organisation psychiques névrosé/psychose/perversion, des évitements de la question de la spécificité au nom de la spécificité analytique, toutes sortes de choses qui me semblent fonctionner comme une façon de contourner l’angoisse du surdon. Tous ne sont pas dupes, certains tirent même leur épingle du jeu - mais une majorité l’est et emporte l’atmosphère théorique du bouquin.


Si à mon sens la thématique est juste - « surdoué » et un mot ambigu, capturé aujourd’hui par de très nombreux intérêts, sociétaux, psychologiques, scientifiques, politiques, et qui peut avoir des impacts divers dans la vie des individus - le traitement et l’approche développés dans ce livre sont globalement incapables de faire autre chose que d’attirer l’attention sur ce point. On n’en sortira pas avec une idée plus claire de ce qu’est la douance, si elle est quelque chose, mais pour le savoir encore faudrait-il l’interroger et non claironner qu’elle n’est au fond rien, ou peu-de-chose, ce qui revient à bloquer toute possibilité d’interrogation sérieuse. Et on n’aura pas non plus de vision d’ensemble de ce phénomène, permettant d’espérer parvenir à en dégager un sens. La raison essentielle en est dans la pose au fond franchement ou implicitement conservatrice voire réactionnaire, au regard de la théorie, adoptée par les intervenants : l’analyse est Le théologie de l’Inconscient, dont Freud et Lacan sont les prophètes, ce qui permet de se protéger contre l’inconfort de la nouveauté.


Je ne sais pas ce que surdoué veut dire. Mais ma sensation est que, dans ce livre, on n’en parle pas ou si peu - en revanche on parle beaucoup, dans la forme des textes (et quel analyste ne serait pas sensible à ce qui se dit dans la forme et au détours des mots ?), de ce que ça fait à certains analystes, à certaine façon d’user de l’analyse. A peu près le seul intérêt qu’à pris pour moi ce livre.

Kliban
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le 14 mai 2020

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