Si Claire Messud faisait des films plutôt que des romans, elle serait assurément primée à Sundance… Je dis ça parce que, pendant que je lisais celui-ci, son dernier écrit, j’ai regardé "As you are" https://www.senscritique.com/film/As_You_Are/18754644 et j’ai trouvé de sérieuses similitudes entre les deux histoires. Le ton, la temporalité éclatée, les relations tendues et exclusives entre les personnages, le trio amical-amoureux (même si rien dans le livre n’évoque l’homosexualité), la famille monoparentale, la petite ville américaine où tout le monde se connaît et où ragots et spéculations vont plus vite que la réalité, le collège et ses clans. Jusqu’à la forêt, lieu évident de transgression, et la carrière inondée où l’on se baigne.


Il est ici question de la fin d’une amitié qui avait fait de filles uniques, Julia et Cassandra, presque des sœurs jumelles. « Ma mère m’assure que cela arrive à tout le monde, tôt ou tard, pour des raisons plus ou moins identifiables ; tout le monde perd une de ses meilleures amies à un moment ou à un autre. (…) Moi qui suis si fière de ma lucidité, je ne peux même pas reconstituer ce qui s’est passé. »
Rythmé par les saisons, les fêtes (surtout Halloween, Thanksgiving, Noël), les années scolaires, le récit à la première personne de Julia, mélangeant au fil de la narration souvenirs du passé, angoisse au présent et projets d’avenir, décrit fort justement le rapport biaisé de chacun(e) à la réalité, les fictions que l’on se raconte et où se façonnent nos identités, les miroirs déformants dans lesquels on se regarde.
Il évoque également la façon dont la société, par ses injonctions et ses peurs, réduit le champ des possibles pour les petites filles, puis pour les femmes.
Cette histoire pourrait faire écho chez de grands ados, bons lecteurs – les filles ont 12 ans au début du roman et vont en l’équivalent de notre 6e, mais semblent faire plus âgées – ou bien c’est encore un "tour" de l’auteure.


Celle-ci est d’origine française (père) et canadienne (mère), née aux USA, écrivant en anglais et vivant à Boston.
J’avais lu "Les enfants de l’empereur" (paru en 2008) sur les conseils d’une amie, et l’identification au personnage de Danielle avait été forte. Le prochain, déjà dans ma pile, sera le premier écrit mais dernier traduit, "Avant le bouleversement du monde".


Parce que le titre (que je rebaptiserais volontiers "La fille en feu") est inspiré de poèmes, j’ai choisi des Haikus : https://www.senscritique.com/livre/Haiku_du_XXe_siecle_Le_poeme_court_japonais_d_aujourd_hui/442685


Printemps : Bras croisés / le printemps médite / sur la vitesse des racines amères (Fuyuno Niji)
Eté : Juin coule en pluie – la solitude / suinte des murs (Hoshinaga Fumio)
Ténèbres d’été – comme si j’avançais / en serrant une aigrette* dans mes bras (Hasegawa Kai)
*oiseau figurant dans le roman, signe important
La lumière de cette fin d’été / est comme un couteau – je quitte la maison (Kadokawa Haruki)
Automne : Dans la fraîcheur pénétrante / on parle des étoiles – des vieilles et des jeunes (Yomogida Kieko)
Hiver : Chemin de neige profonde – où je vais / d’où je viens / se confondent (Nakamura Kusatao)

DizzyLizzy
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le 13 nov. 2021

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