Compte-tenu du profil politique incertain de A.D.G. dont on ne sait pas trop à quel extrême il se voue, on pouvait craindre un max sur ce roman de Série Noire dans lequel il opposait une communauté hippie à des villageois berrichons – bas du front – et à des méchants malfrats venus là se mettre un peu au vert.

Eh bien non, ADG est plutôt sympa pour cette communauté ainsi que pour les villageois (pas tous toutefois) et se montre très mordant pour les malfrats. En fait d'ailleurs, ce n'est pas tant le fait que ce soit des malfrats mais plutôt des parisiens qui se croient supérieurs et tout permis du moment qu'ils ont affaire à des gens jamais sortis de leur trou.

Lautner a mis en scène cette histoire dans "Quelques messieurs trop tranquilles" avec une tonalité délibérément comique tendant parfois au burlesque en simplifiant notablement l'histoire policière. Enfin policière, avec des policiers qui sont là pour constater les dégâts car berrichons et hippies entendent bien régler leurs problèmes à leur façon sans avoir à trop rendre des comptes.

Le style peut surprendre car c'est un langage parlé et une orthographe du genre phonétique avec "les hippizes", "des charcheux de pain" (des mendiants), "des j'teux de sorts" …

Au-delà de l'histoire policière qui est intéressante, ADG nous amuse avec les journalistes qui rappliquent pour couvrir les évènements et dont les manchettes des journaux sont du style "est-ce un crime rituel ?" ou encore "une atmosphère digne des récits fantastiques de Georges Sand". Mais c'est "une population pleine de croyances d'un autre âge" qui fait comprendre aux gens du cru, peut-être bas du front mais en tous cas plutôt matois, tout le parti qu'ils peuvent en tirer. C'est qu'il y a peut-être du fric à se faire avec ces touristes ou ces curieux alléchés par les histoires croustillantes en venant passer un bon dimanche au zoo...

Vous voyez, disait "Manchon tête de trêfle" à un touriste ébahi, quand on a un "grout ortou enflé" (foulure du gros orteil), le toucheux vient, il enveloppe le grout ortou dans du papier d'étain et il fait : anté (un signe de croix), superanté (deux signes de croix), superantété (trois signes de croix) et le mal est parti.

Et qu'est-ce qu'on s'enfilait comme gorgeons gratisses !

Le style à la longue est parfois un peu pénible à lire mais il y a des réflexions frappées au coin du bon sens qui remettent à plat les conceptions millénaires d'un gars attaché à sa terre ou à une vie primaire face aux élucubrations de tous ces intellos de la ville venus nous faire la leçon. Cette notion d'intellos recouvre des tas de gens et exclut totalement les hippies et les villageois (à part quelques rares comme le charcutier Justin qui veut toujours référer à la police et qui joue le rôle de mouchard). Il y a toujours des brebis galeuses dans toute communauté.

Au contraire, la naissance d'un enfant dans le camp hippie devient le bébé du village qu'on défendra contre vents et marées (les marées, surtout dans le Berri). Et rapidement des liens (tendres) vont se créer entre villageois et les hippies.

Au final, le roman de ADG est nettement plus profond que le film qu'en a fait Lautner. Attention, je rassure, il y a, quand même, encore une grosse marge entre le roman et un livre de philo …

ADG a fait une suite à ce roman "Berry Story" qui fera l'objet d'une critique lorsque je l'aurai relu …

JeanG55
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le 11 janv. 2023

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