La Route
7.5
La Route

livre de Cormac McCarthy (2006)

Un roman postapo aride et desespéré

Couronné par le prix Pulitzer, La route est le roman qui a permis au romancier américain Cormac McCarthy de percer auprès du grand public, en particulier aux Etats-Unis où il s’est écoulé à plus de 2,5 millions d’exemplaires (600 000 en France). L’auteur s’était déjà largement frotté à la littérature de genre (le western avec entre autre Méridien de sang, au polar psychologique avec No country for old men), mais il est étonnant de constater que c’est un livre de science-fiction foncièrement pessimiste (voire anxiogène) qui a fait exploser sa notoriété, alors que le genre est en perte de vitesse depuis une bonne vingtaine d’années, cannibalisé par la fantasy et la bit litt. On peut s’en réjouir ou tout simplement déclarer qu’il s’agit d’un épiphénomène, ce qui est certain c’est que de nombreux lecteurs ont plongé dans l’univers de la SF postapocalyptique par son intermédiaire et il faut avouer qu’il y a bien pire entrée en matière, même si le genre a été fécond en oeuvres de qualité.

La route est un roman fondamentalement minimaliste, aussi bien sur le plan structurel que littéraire, les personnages se comptent sur les doigts d’une main et le décor principal est une route qui traverse les Etats-Unis du Nord au Sud, alors que le pays a été intégralement dévasté par un cataclysme (probablement nucléaire). Du contexte antérieur, McCarthy n’évoque rien ou presque et l’intérêt du roman réside de toute façon ailleurs. Evidemment le lecteur de SF chevronné aura tôt fait de se retrouver en territoire connu, Mad Max, Malévil, Niourk, Le facteur, La fin du rêve ou bien encore La forêt d’Iscambe... les références abondent sans pour autant que McCarthy inscrive directement ses pas dans ceux de ses prédécesseurs, l’auteur américain trace son propre sillon, apportant une nouvelle pierre à l’édifice de son oeuvre étonnante et singulière. Dans ce désert de cendres, plombé en permanence par un ciel sombre et menaçant d’où n’émerge jamais le soleil, deux ombres avancent sur la route, un homme et son fils (dont on ne connaîtra jamais les prénoms) poussant un caddie rempli d’objets ayant survécu au désastre et nécessaires à leur survie ; des couvertures, un bidon d’essence, un briquet, une bâche, quelques boites de conserve et un pistolet dont le barillet ne contient que trois balles constituent l’essentiel de leurs maigres possessions. Un trésor de guerre misérable qu’il leur faut pourtant protéger à tout prix. Bien que les survivants soient très peu nombreux, le danger guette à chaque instant et la perte de ces objets mettrait leur existence déjà précaire en grand péril. Aussi fuient-ils en permanence le moindre signe d’activité humaine et on les comprend au regard du comportement bestial et inhumain de leurs congénères, dont une majorité pratique la chasse à l’homme et le cannibalisme ; chaque survivant est en réalité une réserve de nourriture potentielle, les vestiges de la civilisation étant trop chiches pour nourrir cette poignée de miséreux. L’homme et son fils font partie des rares survivants à fouiller inlassablement les ruines qui émergent du chaos, ils y dénichent tout juste de quoi survivre quelques jours de plus, remettant à plus tard l’instant fatidique où leur corps refusera de les porter plus loin. Parfois ils découvrent un véritable trésor, une maison isolée et oubliée par les pillards, une cave dissimulée par les décombres, mais il s’agit là de havres provisoires et la peur qui les taraude sans cesse les pousse inlassablement à reprendre leur chemin vers le sud. Le sud, ni un lieu ni une destination, une maigre étincelle d’espoir à laquelle ils s’accrochent mais qui au fil de leur périple devient chaque jour un peu moins tangible tant les paysages monotones de décrépitude et de désolation s'enchaînent de jour en jour.

« Il n’y a pas de dieu et nous sommes ses prophètes. »

Stylistiquement aride, violent et sombre, voire désespéré, sur le fond, La route n’est pas une simple métaphore de la fin d’un monde, c’est une démonstration implacable de la fragilité de notre civilisation et de sa violence intrinsèque, à peine contenue par des barrières sociales si fines qu’elles ont tôt fait de voler en éclat. Que restera-t-il de notre monde une fois que nos immenses cités seront mises à terre, que restera-t-il de notre culture, de notre morale et de notre religion lorsque la terre nourricière, devenue stérile, laissera ses enfants affamés et hébétés ? Contrairement aux romans de ses prédécesseurs, McCarthy laisse l’humanité littéralement exsangue, nul îlot de survivance, nulle zone oubliée par le cataclysme, nulle société reconstruite sur les ruines de la précédente, rien d’autre qu’une désolation de cendres et de gravats. Comme s’il était le seul à avoir le courage d’imaginer la fin de l’Histoire. Pourtant au milieu de cet enfer subsiste une once d’espoir, un enfant encore habité par le bien (qui distingue encore le bien du mal plus précisément), un être humain porteur du “feu” sacré, d’une étincelle de solidarité, qu’il déploie même dans les plus grands moments de désespoir, comme si McCarthy refusait finalement d’expédier définitivement cette humanité dans les limbes du néant.
EmmanuelLorenzi
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs livres de SF pour ceux qui n'aiment pas la SF

Créée

le 12 avr. 2013

Critique lue 280 fois

Critique lue 280 fois

D'autres avis sur La Route

La Route
DjeeVanCleef
10

Apocalypse ? No !

J'ai toujours pensé que ça allait mal finir. Depuis petit, en fait. Qu'il fallait que ça crame.  Rien à voir avec un feu divin ou un nuage dense de sauterelles sodomites. Non non, point de courroux...

le 29 mars 2014

110 j'aime

37

La Route
Spoof
9

Roadbook post-apo introspectif et é

Quand Cormac McCarthy, l'auteur de "No Country for Old Men", s'attaque au récit post-apocalyptique, il fait fi des clichés du genre et des conventions d'écriture. J'avoue ne pas être un amateur...

le 4 mars 2010

54 j'aime

4

La Route
Vincent-Ruozzi
8

Terre brûlée, c’est pour les vivants

La Route est une histoire qui repousse les frontières du genre post-apocalyptique. La puissance descriptive de Cormac McCarthy, l’auteur du livre, emporte le lecteur dans les tréfonds les plus...

le 30 juin 2017

36 j'aime

6

Du même critique

L'Insoutenable Légèreté de l'être
EmmanuelLorenzi
8

Critique de L'Insoutenable Légèreté de l'être par Emmanuel Lorenzi

Je ne me souviens pas exactement pour quelles raisons j’ai eu envie de me frotter à l’oeuvre de Milan Kundera, et en particulier à son roman phare : L’insoutenable légèreté de l’être. Il y a...

le 2 mai 2019

24 j'aime

12

La Compagnie noire
EmmanuelLorenzi
5

Critique de La Compagnie noire par Emmanuel Lorenzi

L’écrivain américain Glenn Cook est surtout connu pour être l’auteur du cycle de la Compagnie noire, une série à succès que d’aucuns affirment classer dans la dark fantasy. On n’épiloguera pas ad...

le 8 nov. 2012

18 j'aime

10

The Bookshop
EmmanuelLorenzi
8

Une fausse comédie romantique britannique, plus subtile et délicate qu'il n'y parait

Les films qui évoquent les livres ou le travail de libraire ne courent pas les rues, The Bookshop fait donc un peu figure d’ovni dans un paysage cinématographique qui tend à oublier d’où provient son...

le 10 janv. 2019

17 j'aime

33