Mohammed, dit Momo, est fils de pute. Entendez par là enfant de travailleuse du sexe, et accessoirement victime de "la loi des grands nombres" (Il a en effet tellement de pères potentiels). Depuis toujours et donc depuis environ dix ans, il vit à Belleville en pension chez Madame Rosa, une vieille femme juive haute en couleurs, qui a connu un temps son heure de gloire autour de la rue Saint-Denis. La vieille dame est très malade. Avec l'aide de Madame Lola, ancien boxeur sénégalais, et de ses autres voisins de tout bord (et de tous bords), le jeune Arabe va s'occuper d'elle. Car ces deux-là représentent tout l'un pour l'autre, ils s'aiment d'un amour de toujours.
Je suis heureux de plonger enfin dans la prose de Romain Gary, auteur majeur de la littérature française du vingtième siècle. La vie devant soi, publié sous le pseudonyme d'Émile Ajar et lauréat du prix Goncourt 1975, est un roman brillant que je ne peux pas encore comparer au reste de son oeuvre. Je n'aperçois pour le moment que le coup de force de l'écrivain qui réside dans la capacité de son récit à immerger le lecteur dans les pensées de ce gavroche, version allogène. Tout en servant avantageusement la langue française, Romain Gary parvient à composer une narration à la manière de L'attrape-coeurs de Salinger, c'est à dire à travers les réactions et les mots d'un gamin non éduqué et pas mal livré à lui-même. La lecture est un régal car Momo pense comme il vit. Il est écorché, sans filtre, spontané, sensible, naïf ... Il a le sens de la formule qui parvient à transformer le terrible et le glauque en un moment de tendresse et d'humour pour le lecteur. Un génial exercice de style pour Romain Gary.