La Vraie Vie est un roman qui traite d'une thématique universelle: le passage à l'âge adulte et le refus de dire adieu à son enfance. C'est l’histoire d’une jeune fille, qui vit avec sa famille dans un lotissement malpropre appelé "Le Démo", bordé par "le bois des petits pendus". Sa famille se compose d’un père terrifiant et alcoolique qui a une pièce dans le domicile dédiée à ses trophées de chasse, d'un corps féminin vide de substance qui l'a fait naître, complètement soumis à son père, qui ne travaille pas et ne pense qu’à s’occuper de ses chèvres et enfin son petit frère, Gilles qu’elle aime comme une mère.
Malgré ce cadre familial malsain et claustrophobique, l’héroïne et son petit frère arrivent à vivre une enfance normale jusqu’au jour où leur marchant de glace meurt à cause de l’explosion d’une de ses machines.
Ici ce n'est pas seulement le glacier qui est mort, mais aussi leur enfance qui appartient maintenant à un "monde disparu" et cette explosion est venue troubler irrémédiablement la plénitude dans laquelle flottait les deux bambins et les traumatiser. Ce traumatisme va déclencher en eux une lente transformation, d'un côté Gilles semblera mort à l'intérieur et commencera à devenir un monstre sanguinaire, comme son père, qui massacre des chats dans la rue. Sa sœur, quant à elle, va s'accrocher à son enfance et se plonger dans les sciences dans l'espoir de pouvoir inventer une machine à voyager dans le temps afin d'empêcher cette explosion dont elle pense être responsable, inspirée par Retour vers le futur et par Marie Curie.
Elle s'accroche, persiste dans ses fantasmagories enfantines et dans son rêve impossible de voyage dans le temps alors que tout s'y oppose: les adultes, la violence de son père, les rappels cruels de sa voisine Monica, sa puberté, la transformation de son frère et elle en vient à nier la réalité : « P50: Puis je me suis dit que tout cela n’avait pas d’importance parce que j’allais pouvoir remonter dans le temps et tout effacer. »
Il y a dans le roman, ce décalage macabre entre l’innocence de l’héroïne et la brutalité du monde sordide qui l’entoure. Elle ne cesse de rêvasser et de se plonger dans ses études pour fuir les horreurs qu'elle endure. Cela rappelle un peu le film Jeux Interdits de René Clément où deux enfants se réfugient dans leurs jeux pour fuir l’horreur de la seconde guerre mondiale.
Le père et Gilles sont animalisés à de nombreuses reprises dans le roman, par exemple: «P48 : Ca fessait des jours qu’il rentrait du travail en reniflant partout, le muscle tendu, prêt à bondir » comme si la famille vivait sous la menace constante de deux animaux sauvages et sanguinaire avec lesquels ils étaient forcés de vivre.
Le style littéraire de Dieudonné est ciselé, très propre et son roman se laisse facilement lire avec plaisir, c'est donc logique que son œuvre a été décoré de nombreux prix comme le prix Reunaudot des lycéens, le prix du roman Fnac ou encore le prix première plume.
Finalement, comme un renoncement à l'enfance, l'héroïne aura une relation sexuelle dans les bois avec Le Champion, personnage héroïque qui sauve son chien prisonnier d'un homme étrange du Démo au début du roman et sur lequel elle fantasme depuis. Cette scène qui semble déroutante et inappropriée au premier abord car l'homme est marié, père de deux enfants et que la jeune fille a treize ans est peut-être en réalité le symbole de l'acceptation du monde des adultes de l'héroïne et la libération de sa nostalgie maladive.
Comme l'écrivait Céline dans Voyage au bout de la nuit : «On est puceau de l'Horreur comme on l'est de la volupté.» L'héroïne est ainsi dépucelée.
On regrettera une fin trop vite expédiée. Le meurtre du père par Gilles était une conclusion prévisible qui n'apporte pas de réelle conclusion à la thématique et des scènes trop rocambolesques pour êtres réelles.
Ca reste néanmoins un roman appréciable qui traite d'une thématique universelle capable de toucher tous le monde et qui a de pures qualités littéraire.
Début de lecture: 23 Octobre 2020
Fin de lecture: 24 Octobre 2020
Edition: Livre de poche