La demoiselle des tic-tac par Bobkill

Appartenir à sa terre d'abord

Alors qu'il est des peuples qui désirent leurs indépendances, au cours de l'histoire d'autres territoires se sont trouvés ballottés d'une nationalité à l'autre à la suite de conflits. L'Alsace et la Moselle sont ainsi passées de la France à l'Allemagne et vice-versa. Bien avant, c'était le temps des duchés et des allégeances qui changeaient selon le bon vouloir des seigneurs, sans parler des troupes qui traversèrent ces terres dans un sens ou dans l'autre. Et, au milieu de cela, il y a toujours des gens, bien obligés de suivre le mouvement, mais qui, en plus, paient souvent chèrement le prix des annexions. Nathalie Hug nous raconte l'histoire de Rosy, dans une cité de Moselle, alors que les Alliés menacent de reprendre ce bout de terre pour le restituer à la France. La quatrième de couverture nous restitue parfaitement cette histoire contée avec la voix de la jeune Rosy :

Ses doigts crispés sur mon bras, Mutti halète en scrutant les rues désertes, les papiers qui virevoltent dans la fumée noire, les silhouettes fugitives, les volets claqués à la hâte. Je sens le coeur de Mutti cogner contre ma joue, ses doigts refermés sur mon bras meurtrissent ma chair, mais ce n'est rien en comparaison des mots que ces hommes nous ont crachés à la figure : nous sommes deux sales boches, tout juste bonnes à crever.
Rosy et sa mère ont quitté Ludwigshafen en 1937 pour une vie meilleure en France, dans un petit village de Moselle. Or, personne n'a oublié l'annexion de 1871 et rares sont ceux qui leur tendent la main. Il est vrai que Mutti admire Hitler, méprise les curés, les Juifs et les fonctionnaires, et que Mein Kampf est son livre de chevet... Pour Rosy, dix ans, la vie n'est pas drôle tous les jours.
Quand en 1940, Hitler s'empare de la Moselle, leurs conditions de vie s'améliorent. Pas pour longtemps. Entre novembre 1944 et mars 1945, alors que les Alliés pilonnent la région, Rosy et sa mère se terrent à la cave. Pour tenir, Rosy se raccroche à ses souvenirs, avec de maigres provisions et pour toute compagnie une petite poule et de drôles d'araignées aux pattes fines, que son oncle Edy, qu'elle aimait comme un père, surnommait les tic-tac.

Ce roman commence par une scène éprouvante de bombardement où Rosy et sa mère se trouvent rejetées de l'abri antiaérien, car trop boches pour les autres. Evitant des bombes qui ne sauront jamais faire la distinction entre des troupes et de vulgaires dégâts collatéraux, elles se mettent à l'abri dans la cave de la maison où elles survivent. Une bombe de trop cèle l'accès et Rosy se retrouve seule à attendre de l'aide avec une grande fatalité pour son si jeune âge. Elle nous raconte alors les différents moments du passé. Le mépris des Lorrains quand sa mère et elle s'installent chez sa grand-mère paternelle, l'oncle Edy idéalisé comme le père qu'elle aurait tant aimé avoir, Andy le petit voisin qui est son seul ami, l'exil des habitants, l'arrivée des Allemands et le fatras hitlérien qui les accompagne, et enfin le tournant de la guerre. Survivra-t-elle à cette nouvelle épreuve ?

Je ne me l'explique pas, mais après L'enfant-rien, Nathalie Hug réussit, une fois encore, avec La demoiselle des tic-tac à me toucher au point de ne pouvoir reposer ce livre sans en avoir achevé la lecture. Quelle belle magie que celle-là, mais quelle épreuve aussi. Je peux facilement comprendre cette histoire, car par mes origines alsaciennes, je sais ce qu'on ressent, les sous-entendus, la montée menaçante des périls et les familles éclatées, détruites par la guerre et par les allégeances. Je vous recommande vivement cette lecture éclairante sur notre histoire, vu au travers d'un autre regard d'enfant, mais l'innocence sait aussi ouvrir les yeux sur les horreurs qui peuvent être commises dans les moments troubles de l'histoire.