"Elle était née bizarre, du moins le croyait-elle. Ses parents avaient mis de la glace dans son âme, ce qui n'avait rien d'exceptionnel. Quand tout allait bien, cette glace semblait fondre un peu ; mais quand tout allait mal, la glace gagnait du terrain."


Connaissez-vous cette sensation de certitude qu'un écrivain écrit pour vous ? Que ses mots ont traversé les océans ou bien les siècles pour vous arriver, à vous et à personne d'autre, même si des milliers d'autres personnes les ont lus avant vous ? "Big Jim" Harrison, c'est exactement ça pour moi, même si, incroyablement, il ne parle pas en apparence de choses que je connais, ou qui même m'intéressent un tant soit peu : la vie des cow-boys, l'élevage des chevaux, la chasse et la pêche dans le grand Ouest américain, les tribus indiennes. Bon il parle quand même des femmes, comme sans doute nul autre auteur masculin contemporain : non, il EST femme dans tous ses récits de vie féminine. Pour moi, lire Big Jim est ce qui s'apparente le plus à un grand voyage planant vers un ailleurs incompréhensible et pourtant totalement mien. C'est à peu près incomparable avec tout le reste, même avec des auteurs dont je reconnais qu'ils lui sont supérieurs.


"Elle réfléchit à l'affection, ou à ce que la culture populaire appelait l'amour, dont elle ne faisait l'expérience que depuis peu. Cette émotion était souvent embryonnaire, comme la musique qui nous stupéfie avant de retrouver sa forme mélodique."


"La fille du fermier" est une longue nouvelle d'un peu plus de 100 pages que Folio a extraite d'un recueil intitulé "les Jeux de la Nuit" pour la publier dans son étrange collection "folio 2€", sans doute imaginée pour convertir à la littérature de potentiels lecteurs fauchés (ou radins). Même si un fanatique de Jim Harrison comme moi regrettera forcément de ne pas avoir immédiatement accès aux autres nouvelles de ce recueil, il faut bien admettre que cette longue, magnifique, époustouflante même, chronique des premières années d'une jeune vie, à parfaite équidistance entre sauvagerie primitive et sensibilité artistique aiguë, s'apparente à une glorieuse épiphanie. Comme une sorte de distillation parfaite du talent singulier de Harrison. Et presque deux heures, parce qu'on lit forcément lentement une telle splendeur, de bonheur incomparable.


" "Nous ne savons pas ce que nous faisons, pas vrai ? demanda-t-elle timidement.
- Eh bien, nous avons notre musique, qui semble se répandre en nous, n'est-ce pas ?
- Oui ", acquiesca-t-elle avec une terrible impression de certitude."


[Critique écrite en 2018]

EricDebarnot
9
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le 15 févr. 2018

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Eric BBYoda

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