« Il revint à l'écurie et y trouva Maria, la burra du général, allongée sur le flanc ; sur la paille gisaient, à côté du placenta, quatre petites boules de fourrure noires. Maria se hissa sur ses pattes et se mit à lécher sa progéniture. Le Capitan regardait, sans que son esprit de militaire pût croire le témoignage de ses sens, les chatons noirs inhabituellement grands qui poussaient de pitoyables miaulements de faim. Puis il prit conscience du caractère pressant de la situation : étant donné que les chats tètent allongés et que les ânesses allaitent debout, les chatons n'avaient aucune chance d'atteindre les mamelles de Maria. Soulagé d'être enfin face à un problème qu'une décision rapide et une action énergique résoudraient aisément, il se rendit dans un magasin et revint avec un biberon. Il s'agenouilla précautionneusement afin de ne pas salir son uniforme et tenta de traire Maria. Elle s'ébroua et le repoussa. Il marmonna d'un ton rassurant et imita les claquements de langue du général : Maria consentit à donner son lait. Avec une scrupuleuse équité, Rojas en accorda une part égale aux chatons, et il fut charmé par leurs yeux clos, leur vulnérabilité, leurs petits bouts de queue, leur miaulement pathétique et leurs grandes oreilles soyeuses. Il eut le sentiment qu'il ne pouvait en conscience les laisser aux seuls soins de Maria et il déménagea son lit de camp dans l'écurie afin d'être en mesure de les nourrir toutes les deux heures, jour et nuit. Il s'enticha tant de ses petits protégés que les filles du bureau le surnommèrent Capitan Papagato, et furent obligées de descendre à l'écurie lui apporter sa citronnade à la chancaca et les documents à signer. A sa dépression apathique succéda une béatitude séraphique et, lorsque par la suite les chats noirs atteignirent la taille de pumas, il se promena partout avec eux, qui déambulaient silencieusement à ses côtés, comme des chiens. Dans leurs ébats et leurs luttes, ils ravagèrent son logis. Le Capitan Rojas leur fit construire à lit à quatre places. Il obtint de l'état civil l'autorisation de changer son nom en Papagato et se fit dorénavant appeler du nom qui lui avait été originellement attribué par dérision. Il acquit sur les filles une autorité incontestée grâce à la terreur irrationnelle que leur inspiraient les gigantesques chats à l'oeil jaune, et ses rapports mystérieux avec eux fascinaient les autres femmes de Valledupar. Le Capitan Papagato commanda une place supplémentaire pour son énorme lit. Il se croyait le plus heureux des hommes. »

Garëann
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le 4 août 2017

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