Zizek, philosophe slovène se réclamant de la gauche radicale et cultivant l’art de points de vue inattendus, a publié ce petit essai en 2016 qui me laisse perplexe. Il part d’une défense des valeurs libérales positives de l’Europe dans la mondialisation (féminisme, Etat-providence, libertés individuelles/droits de l’homme) et d’une explication post-coloniale des flux de migrants, et il égrène toute une série de « tabous » que la gauche devrait lever en évoquant plusieurs fois Freud et Lacan. Cette critique ne se limite malheureusement pas à une critique de l’islamo-gauchisme mais prend des chemins qui peuvent inquiéter: lorsqu’il associe trop vite le terrorisme à la violence aveugle et non-programmatique des émeutes de 2005 (la « violence divine ») ou lorsqu’il proclame l’impossibilité d’une empathie « sentimentaliste » envers les migrants, voire envers tout autrui (prochain) et qu’il absout les blagues racistes. A force de vouloir briser les tabous en ne se référant qu’à des interprétations dilettantes ou vaguement lacanienne de fragments lus, de bouts de films, de ceci ou de cela, plutôt que d’argumenter solidement sur du réel, on se demande si on a affaire à du lard ou du cochon, à un gauchiste qui évolue vers la droite ou à un dandy qui se donne un style. Pourtant, moi qui ai travaillé avec des migrants et ai, dans un travail de solidarité avec la gauche du Moyen-Orient, repéré de nombreux travers de la gauche occidentale, j’aurai dû, j’aurai pu être un bon client pour ce genre d’essai. Eh bien non. Il ne s’agit pas d’être consensuel et de s’accrocher aux tabous de la bien-pensance. Toute ces questions (universalisme, migrants…) nécessitent aujourd’hui de prendre position avec la plus grande clarté. La chose la plus claire, c’est ce qu’il ne dit pas expressément: Zizek ne souhaite pas que l’Europe accueille tous les réfugiés, qui ne seraient pas si gentils que ça et menaceraient son art de vivre tant qu’ils n’ont pas été éduqués. Citer une ou deux fois l’expression « lutte des classes » comme un cheveu dans la soupe n’y change pas grand chose.

StéphaneLucien
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le 17 févr. 2017

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