La Réserve
6.5
La Réserve

livre de Russell Banks (2008)

Jordan et Vanessa et Alicia et Hubert

Nous sommes en juillet 1936 aux Etats-Unis, période noire de dépression et de chômage. Plus ou moins l’époque à laquelle Steinbeck a situé Les raisins de la colère (voir les images de la remarquable adaptation cinématographique de John Ford). Le petit peuple était floué de tout, de ses propriétés (terrain, maison) comme de son âme, puisque le travail était devenu une denrée rare. Beaucoup criaient famine.


C’est donc non sans une certaine forme de provocation que Russell Banks décrit une zone complètement préservée de tout, à cette période et aux Etats-Unis. Là où coule la rivière Tamarack, plusieurs lacs se succèdent dans une région boisée peu habitée. Une Réserve y a été aménagée. Point capital, il s’agit d’une réserve privée entretenue par quelques natifs employés par de riches propriétaires (newyorkais essentiellement) qui se prélassent à l’occasion dans le club-house ultra select.


L’histoire se concentre sur une de ces familles privilégiées, les Cole qui reçoivent justement 3 couples. Présence un peu incongrue, leur fille Vanessa seule personne de sa génération. Jeune (environ 30 ans), très belle, féminine et parfaitement consciente de son charme et de son pouvoir auprès des hommes, elle est tout simplement considérée comme une des plus séduisantes femmes de sa génération. D’ailleurs, ses frasques alimentent perpétuellement la presse. Son besoin d’expérimentation ne la fait reculer devant aucune « folie ». Et c’est bien là toute l’ambigüité du personnage, car sa famille la considère effectivement comme folle et l’a déjà mise à l’écart plusieurs fois. Pourtant, en dehors de ses périodes rebelles, Vanessa peut se montrer charmante et sociable.
L’irrésistible Vanessa est une enfant adoptée dont on va progressivement réaliser les origines. Dans son passé quelques zones d’ombres vont montrer que son destin l’a déjà confrontée, toute petite, à la folie des hommes.


Et puis, l’élément perturbateur arrive dans cette Réserve hors du temps sous la forme d’un aviateur. La couverture montre un biplan faisant une acrobatie au-dessus d’un lac. Cela correspond au tout début du roman. Vanessa s’est isolée et assiste à l’arrivée de Jordan Groves, très libre (bien que marié à Alicia, deux enfants comme de jeunes chiens, etc.), sûr de lui, égoïste et séduisant.


Jordan Groves est venu à l’invitation du docteur Cole qui a inventé une technique de lobotomisation. Or, Cole s’écroule devant ses invités après avoir fait visiter sa collection de peintures à Jordan qui est lui-même artiste peintre. Au même moment, Vanessa flirtait avec Jordan. L’hydravion est un objet séduisant qui n’a même pas le droit de se poser sur le lac, mais Jordan comme Vanessa n’ont que faire des interdits, y compris celui d’enterrer un homme dans la Réserve. Les interdits sont posés par les hommes pour tenter de préserver une région, un art de vivre. Tentative bien prétentieuse.


La beauté (outre celle de Vanessa), c’est la nature symbolisée par la Tamarack Wilderness Réserve. Le style est magnifique pour mettre en valeur ce monde où l’on aimerait avoir ses entrées :


« Un nouveau verre à la main, tous les convives ou presque se déplaceraient tranquillement à la suite de Vanessa depuis le séjour jusqu’au bord du lac pour regarder les contours en bronze des nuages se changer en or fondu. Ils tourneraient ensuite le dos au ciel et à l’étendue d’eau pour contempler avec admiration la manière dont les forêts de pins et d’épicéas sur les pentes derrière la maison, passeraient dans l’éclat déclinant de la lumière des montagnes, du bleu-vert au rose puis du rose au lavande. Et ils auraient l’impression d’avoir concouru au phénomène appelé Alpenglühen tout simplement en l’observant. »


Les personnages sont à la hauteur, même Hubert Saint-Germain le garde un peu falot et parfois naïf qui ne pense qu’à faire la distinction entre le bien et le mal alors qu’il est incroyablement influençable.


Pourtant, même si j’ai apprécié de lire La Réserve je ne peux pas m’empêcher d’exprimer quelques petites… réserves. Russell Banks affiche un style remarquable dans de longs paragraphes et puis il tombe dans des dialogues qui sonnent parfois comme de la littérature pour midinettes, à tel point que je me suis esclaffé plusieurs fois en me disant que ce n’était pas forcément voulu par l’auteur. Et puis, il tarde à faire sentir où il veut vraiment en venir, se complaisant dans ces belles descriptions qu’il affectionne. D’autre part, à la suite de chaque chapitre il place quelques pages en italiques pour glisser quelques scènes plus en rapport avec la situation internationale, laissant deviner ce que seront les destins de Jordan et Vanessa. Malheureusement, j’ai eu l’impression que ces pages étaient là plutôt pour justifier le roman que parce qu’elles étaient indispensables. Cela fait bien d’évoquer la guerre dans les airs et d’évoquer des déplacements en train et en Zeppelin, mais on est loin de l’ambiance de la Dépression. Quant à certaines péripéties sentimentales, elles m’ont laissé perplexe. L’auteur joue sur les effets obtenus quand un personnage imagine que certaines révélations sont arrivées aux oreilles de son compagnon ou de sa compagne. Cela permet de faire avancer l’intrigue de façon inattendue. Par contre, cela place le roman à un niveau sentimental et matérialiste qui déçoit un peu par rapport à la description des beautés de la nature.

Electron
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Lus en 2014 et Littérature américaine

Créée

le 3 juin 2014

Critique lue 614 fois

10 j'aime

10 commentaires

Electron

Écrit par

Critique lue 614 fois

10
10

D'autres avis sur La Réserve

La Réserve
RaphaelleB
7

Critique de La Réserve par RaphaelleB

La réserve c'est l'histoire d'un homme et d'une femme, de leurs familles respectives et d'évènements qui vont les mener vers leur destin, sur un fond tragique de guerre d'espagne et de nazisme. Le...

le 11 avr. 2011

3 j'aime

2

La Réserve
domguyane
7

à quand le film ?

on pense que ça commence comme un adultère "normal" et on se dit - c'est quoi ce navet - et puis ça dérape : tout pour faire un film, grands espaces, personnages amples, destins tragiques, vies...

le 11 avr. 2011

2 j'aime

La Réserve
Thomas_Danieau
4

Critique de La Réserve par Thomas Danieau

C’est un livre dont j’ai retourné plusieurs fois la couverture pendant la lecture pour m’assurer qu’il s’agissait bien d’un roman de Russell Banks. Est-ce la transposition à une autre époque qui a...

le 29 avr. 2018

Du même critique

Un jour sans fin
Electron
8

Parce qu’elle le vaut bien

Phil Connors (Bill Murray) est présentateur météo à la télévision de Pittsburgh. Se prenant pour une vedette, il rechigne à couvrir encore une fois le jour de la marmotte à Punxsutawney, charmante...

le 26 juin 2013

111 j'aime

31

Vivarium
Electron
7

Vol dans un nid de coucou

L’introduction (pendant le générique) est très annonciatrice du film, avec ce petit du coucou, éclos dans le nid d’une autre espèce et qui finit par en expulser les petits des légitimes...

le 6 nov. 2019

78 j'aime

4

Quai d'Orsay
Electron
8

OTAN en emporte le vent

L’avant-première en présence de Bertrand Tavernier fut un régal. Le débat a mis en évidence sa connaissance encyclopédique du cinéma (son Anthologie du cinéma américain est une référence). Une...

le 5 nov. 2013

78 j'aime

20