Plus expérimentale que riche et plus prenante que « bouleversante », cette Confession de l’homme qui a abattu etc. pose une seule véritable question : et après ? Le récit met en scène la traque d’Oussama Ben Laden – et après ? Il est documenté – et après ? On ne connaîtra jamais vraiment l’auteur des trois coups de feu ultimes – et après ? Stylistiquement, le texte joue sur une forme de modernité – et après ? C’est sur ce dernier point qu’il lui manque quelque chose.
C’est le problème de ces textes qui démarrent pied au plancher : une fois passé l’effet de surprise, une fois admis ce que le récit cherche à démontrer – un soldat d’élite est avant tout un être humain surentraîné et sur-conditionnné, la traque du terroriste le plus recherché du monde n’étant qu’une occasion –, une fois acquis surtout que le caractère expérimental d’un texte n’a jamais été en tant que tel un gage de qualité, que reste-t-il du récit d’Emmanuel Adely ?
Une œuvre littéraire expérimentale – à divers degrés, et celle-ci ne l’est pas au plus haut – présente de l’intérêt quand la forme fait sens. C’est le cas ici – il serait certes abusif de dire que la forme de cette Très Bouleversante Confession de l’homme qui a abattu le plus grand fils de pute que la terre ait porté / ou qui lui a tiré dessus le premier ou qui lui a tiré dessus le second ou qui est le premier à l’avoir vu mort ou qui est celui qui dans l’hélicoptère s’est assis sur son cadavre / ou qui a tout inventé pour avoir une histoire à raconter ne fait pas sens –, mais il faut reconnaître que ledit sens n’est pas riche. Moins riche que le titre est long, en tout cas. Prenons une phrase comme « Un jour sa femme elle le retrouve dans sa chambre il est en caleçon sur le lit / assis / ce grand corps solide qui inspire confiance qui est fait pour protéger il est très pâle et ça change la couleur de ses tatouages ça les anime / eux / et elle ça l’immobilise elle a l’impression que le cobra va glisser vers elle juste une seconde elle pense c’est long » (section I.47, p. 77 en collection « Babel » ; je n’ai pas choisi la phrase la plus pauvre). Que présente-t-elle de véritablement neuf par rapport à ce que ferait un participant un peu téméraire à un atelier d’écriture ou – surtout, évidemment, – par rapport à Ulysse de Joyce ? Pas grand-chose. Pire : qu’apporte-t-elle de plus – ou de mieux – que la même phrase re-ponctuée de façon traditionnelle ? Rien.
Le récit n’est pas inintéressant, et je n’ai pas rechigné à en tourner les pages ; seulement il ne tient pas ses promesses.

Alcofribas
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le 5 nov. 2016

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