Le jour où j’ai commencé Le Complot contre l’Amérique, on m’a dit que c’était un peu dommage de découvrir Philip Roth avec celui-là. Je l’ai continué, car je n’ai pas pour habitude ni n’aime laisser un livre de côté, et maintenant me voici avec mon avis.


Le synopsis est alléchant : Roosevelt est battu en novembre 1940 par Lindbergh, héros pas ses exploits aéronautiques, martyr par la perte de son fils, et dont le seul défaut est de fricoter avec le Führer. Avec ce nouveau locataire à la Maison-Blanche, l’Histoire change, car sans Roosevelt pour forcer l’entrée en guerre des Etats-Unis, pas d’intervention américaine à la fin de l’année 1941.


C’est sur l’Histoire des Etats-Unis que porte le livre de Philip Roth, roman qui prend la forme d’une pseudo biographie racontée par la voix de l’auteur, enfant pendant les faits. Et c’est lentement que change cette Histoire des Etats-Unis. De juin 1940 à octobre 1942, tout se fait en douceur, pas de persécutions ouvertes du gouvernement envers les juifs, l’auteur retranscrit une inquiétude croissante, omniprésente, mais parfois oubliée par l’enfant juif qui se préoccupe autant de la monté de l’antisémitisme dans son pays que de sa collection de timbres. C’est du moins l’idée qui semble par moments être amorcée : à mon goût, le livre aurait beaucoup gagné à être moins « informatif », à placer la trame historique un peu plus loin, la rendre un peu plus brumeuse, en laissant plus de place à la perception de l’enfant qui normalement n’a pas une connaissance aussi englobante. Roth (le véritable auteur) a travaillé son sujet, et a tendance à donner via de nombreux biais beaucoup de détails historiques (on retrouvera ainsi le père Coughlin, Léo Frank, Amelia Earhart…) ou d’explications du contexte politique du pays. Cela est bien étudié, mais trop présent : le jeune Philip (le fictif) n’est pas seulement entouré d’un père fidèle à son poste de radio et à sa séance d’actualités filmées, mais aussi d’un frère sous le charme de Lindbergh et de ses programmes d’assimilation, un cousin qui rejoint l’armée canadienne pour se battre contre les nazis et une tante fiancée à Lionel Bengelsdorf, rabbin de renom proche du couple présidentiel. Une telle panoplie de connexions avec la politique des Etats-Unis était-elle nécessaire pour rendre compte du contexte ? Paradoxalement, en donnant trop d’informations au lecteur, le livre perd en effet de réel, avec une narration qui abandonne trop souvent son ton enfantin. Elle redevient cependant très sensible lorsqu’on se rapproche du personnage : on peut par exemple penser aux passages sur la peur du moignon, la culpabilité, la découverte de la force maternelle, la volonté de fuite… Je pense que ce genre de choses qui fait l’intérêt de Ph. Roth se trouve plus en abondance dans ses autres ouvrages, et que c'est pour cela qu'on m'a conseillé de découvrir son oeuvre autrement.


Le Complot contre l’Amérique est incontestablement intéressant, mais on y trouve ce qui est selon moi le défaut le plus courant des romans « historiques » : l’Histoire n’y est pas une trame de fond, mais le personnage central, ce malgré un petit renversement dans le disposition des deux derniers chapitres : le chapitre 8 s’achève sur un retour à la fois fictif et historique à la normale, avec la réélection de Roosevelt, l’entrée en guerre des Etats-Unis et la victoire des Alliés ; le dernier porte sur l’équipée du père de Philip et de son frère en octobre 1942 pour ramener leur ancien voisin dont la mère a été tuée lors d’émeutes antisémites, tandis que notre narrateur est témoin de la folie de sa tante. L’ordre chronologique bousculé, l’auteur achève son livre sur un climax de violence et donne une place de choix à un sentiment qui n’a cessé de croitre tout au long du récit : la peur, qui est devenue perpétuelle.


Conclusion (susceptible d'en dévoiler trop à ceux qui n'ont pas lu le livre): espérons qu'il n'arrive pas de malheur à Trump, les vices-présidents sont souvent les pires!

SoundandFury
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le 27 janv. 2019

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SoundandFury

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