J'ai vacillé droit. Je suis toujours debout. Je suis moi !
C'est l'histoire d'un temps troué comme un gruyère, depuis lequel s'écoulent les visiteurs du passé et du futur. Mais Stéphane Beauverger choisit comme narrateur un de ces pirates du XVIIème siècle, qui voient soudain des porte-avions comme des trirèmes antiques s'inviter dans leurs Caraïbes. Cette audace permet à l'auteur de réaliser probablement un de ses fantasmes : un abordage de pirates qui écoutent du rock'n'roll !
Pas de doute, le dépaysement est là. En revanche, l'écriture est parfois faiblarde : le style est lourd, les phrases chargées, les emprunts au vieux françois sonnent faux, et les descriptions des scènes d'ensemble sont parfois confuses. Cependant le vrai problème est dans les dialogues : c'est toujours compliqué de rendre par écrit l'argot des boucaniers du XVIIème siècle, bourré d'élisions, de tournures déformées, de mots mâchés ; sans surprise, à ce jeu l'auteur ne convainc pas, même si les dialogues de Féfé de Dieppe finissent par être plutôt comiques. Quand aux dialogues esotérico-prophétiques avec les messagers du futur, ils ont un écho de mauvaise SF.
Sur la forme, on retrouve l'audace : « Le Déchronologue » est un roman découpé en 25 chapitres qui s'étalent sur environ 13 ans, mais l'auteur a bouleversé l'ordre des chapitres. Ainsi le lecteur peut lui aussi se sentir perdu dans un temps délité, qui bondit à l'envi entre le passé et le futur.
Sur le papier, l'idée est bonne. Mais dans un roman de 550 pages, qui foisonne de personnages multiples, et qui s'étale sur toutes les îles et les côtes des Caraïbes, le parti pris devient très vite un bazar innommable. C'est confus, on est perdu. C'est le but, vous me direz ? Je crois qu'on pouvait faire mieux.
C'était soit trop, soit trop peu. On pouvait laisser les chapitres dans l'ordre, et avec une écriture suffisamment solide, faire tout de même sentir au lecteur la confusion du temps. On pouvait également être plus radical, abolir totalement la chronologie, et raconter l'histoire comme une suite de flashs piochés au hasard dans le temps ; au lecteur de reconstruire cela, presque dans l'ordre qu'il lui plairait.
La vraie audace, ça aurait été de donner véritablement au lecteur la main sur l'architecture du récit, et donc lui livrer, à lui, la maîtrise du temps.