De l'auteur, je n'avais rien lu jusqu'à présent.

...

Bon, si, d'accord, sa nouvelle d'Appel d'air que j'avais détestée, mais ça vaut pas, d'abord, hein, bon.

D'autant que le reste de la production littéraire du monsieur – la trilogie « Chromozone », alors – m'intriguait. À l'occasion de sa réédition en poche chez Folio Science-fiction, je me suis donc emparé de la chose. Puis est sorti – avec un peu de retard – ce nouveau roman, toujours chez La Volte. Les critiques étaient unanimement dithyrambiques ; alors autant commencer par-là...

Le Déchronologue, donc. Un intriguant cocktail, mélangeant aventures maritimes (pour ne pas dire piraterie) et science-fiction, en l'occurrence voyage temporel. Mais pas selon le schéma habituel qui nous fait suivre le voyageur (celui de « la Patrouille du temps », par exemple). Ici, l'on reste dans la mer des Caraïbes du XVIIe siècle, mais celle-ci est perturbée par d'étranges phénomènes temporels. Encore que les flibustiers qui y sont confrontés ne les envisagent pas nécessairement ainsi ; simplement, ils rencontrent régulièrement ce qu'ils nomment des maravillas, des « merveilles », que nous autres lecteurs savons être des objets venus du futur, pour une raison inconnue. Mais le passé peut également ressurgir, ainsi sous la forme de la flotte d'Alexandre le Grand...

C'est le monde étrange, tout en superstitions et phénomènes inexplicables, dans lequel vit le capitaine Henri Villon. Pas pour longtemps : dès la première ligne du roman – son journal –, il nous annonce sa mort prochaine. C'est que le sympathique flibustier français mène une vie dangereuse : son association avec les corsaires huguenots menés par Le Vasseur, désireux de prendre l'île de la Tortue pour en faire une utopie protestante (sombrant bien vite dans la dictature, comme il se doit), suffit déjà à faire des Espagnols dominant les mers ses ennemis acharnés. Mais, dans sa quête fascinée des maravillas, il sera également confronté à des dangers de tout autre nature, face auquel son Chronos ne peut faire grand chose. Cela changera, cela dit, avec le Déchronologue, son nouveau bateau – je ne vous dirais bien évidemment pas dans quelles circonstances il en a obtenu le commandement, non mais... –, dont les canons tirent du temps...

Mais le récit d'Henri Villon n'obéit pas à la chronologie. Les chapitres, comme s'ils étaient eux aussi perturbés par les maravillas, s'enchaînent en effet dans le « désordre » : 1, 16, 17, 6, 2, 7, etc. Au premier abord, pour être honnête, j'ai craint l'artifice un peu vain, la formule gadget n'apportant rien au roman et, pire encore, pouvant lui nuire en rendant l'action incompréhensible. Mais non : loin de là, Stéphane Beauverger a fait preuve d'une rigueur dans la construction tout à fait exceptionnelle ; du coup, non seulement cette déconstruction apparente ne nuit pas à l'intrigue, mais, mieux encore, elle la sert tout à fait, dégageant insidieusement une trame efficace, riche en rebondissements, et qui a bien un début et une fin en-dehors de la seule chronologie. On ne s'y perd jamais vraiment, et on applaudit bien fort.

Et le fait est que Le Déchronologue est un roman vraiment palpitant. Bien que n'étant guère pour ma part amateur de récits de piraterie, je me suis laissé happer dès la première page, et ne me suis pas ennuyé un seul instant. Le talent de l'auteur, ici, ne saurait faire de doute ; et il s'illustre notamment dans l'ancrage de son histoire dans le réel. À l'évidence, Stéphane Beauverger s'est énormément documenté pour écrire son roman, mais a su éviter avec brio les trois grands écueils des mauvais romans historiques (à mon sens, tout du moins), à savoir le didactisme permanent, la gratuité des anecdotes destinées à faire maladroitement « couleur locale », et, en sens inverse, la modernité dans le ton – et notamment dans les dialogues – qui empêche toute suspension de l'incrédulité. Ici, tout est question de dosage, et Stéphane Beauverger s'est montré d'une méticulosité tout à fait remarquable.

Et, du coup, ça marche très bien. Le Déchronologue est bel et bien un très bon roman, divertissement efficace conçu et rédigé avec adresse, dans lequel fond et forme s'associent pour le plus grand plaisir du lecteur. Stéphane Beauverger me fait donc l'effet d'un auteur plus que prometteur, et je ne manquerai pas d'avancer la trilogie « Chromozone » (rien à voir, pour ce que j'ai pu en comprendre) dans ma volumineuse pile à lire.
Nébal
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le 10 oct. 2010

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