Le Désespéré
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Le Désespéré

livre de Léon Bloy (1887)

J’avoue, je suis déçu, ce que ce tout petit 8 ne montre peut-être pas assez d’ailleurs, mais faut comprendre, le Désespéré, je l’attendais comme un frère, moi, on était fait pour se rencontrer, pour se comprendre, je l’aimais déjà et il me le rendait presque, et puis, en fait non.

En fait, les élucubrations haineuses de Caïn Marchenoir vivotant de malheur comme un double transparent de Léon Bloy, ses aventures mystico-sentimentales avec des pauvrettes sorties du ruisseau, ses vaines tentatives pour intégrer un milieu littéraire qu’il exècre, tout cela m’a un peu laissé froid, comme s’il me manquait quelque chose, enfin, je veux dire à lui.

Un peu de recul peut-être, de l’autodérision, certainement, de l’humour surtout. Léon Bloy est bien la preuve qu’on peut faire rire sans posséder la moindre parcelle d’humour, c’est intriguant, mais un peu triste. Que ce brave garçon soit ingrat jusqu’à la folie, aigri jusqu’à la mégalomanie et infatué comme le crapaud de la fable, pourquoi pas, ça occupe, ses logorrhées sont souvent réjouissantes, et, même si le bougre confond souvent vocabulaire et style, ça se mange avec grand plaisir.

Mais quand même, parfois, l’indigestion guette, comme lorsque, pour la dix-huitième fois, Caïn explique son insuccès littéraire par la trop grande force de son catholicisme intransigeant par exemple… La victimisation religieuse m’emmerde tellement aujourd’hui que je ne vais pas la cautionner davantage à l’époque sous prétexte qu’il ne s’agit pas de la même chapelle… Il insistait encore un peu et il finissait à la Trappe, le vieux bougon…Et puis, bordel de nom d’une bite ! S’il méprise à ce point l’intégralité de ses congénères, ce que je peux très bien comprendre, pourquoi ce besoin absolu de se mêler à eux, de se faire publier, de se faire lire, de quémander comme un enfant les jouissances morales et matérielles d’un succès qu’il fait tellement semblant de mépriser…

Dans une plus grande cohérence, et avec infiniment plus de douceur, Pierre Louÿs était au moins allé au bout de sa logique, cessant toute publication dès que cette abomination (le grand public) a commencé à oser toucher de ses doigts gourds et fangeux le joli vélin de ses ouvrages.

Avouons tout de suite que nous baignons chez Bloy dans une auto-complaisance qui peut finir par vous les briser menues assez vite.

Nonobstant, le monstre mord à belles dents sur tout ce qui bouge et c’est assez réjouissant. Il y a de jolies scènes de dîners littéraires qui semblent avoir été décrites d’hier, et s’il a la dent dure, le vieil aigri sait tout de même nous intéresser à ses petites tribulations contre les moulins à vents.

Et puis, entre nous quelqu’un qui écrit :

« On est bien forcé d'avouer que c'est tout à fait fini, maintenant, le spiritualisme chrétien, puisque, depuis trois siècles, rien n'a pu restituer un semblant de verdeur à la souche calcinée des vieilles croyances.
Quelques formules sentimentales donnent encore l'illusion de la vie, mais on est mort, en réalité, vraiment mort. Le Jansénisme, cet infâme arrière-suint de l'émonctoire calviniste, n'a-t-il pas fini par se pourlécher lui-même, avec une langue de Jésuites sélectivement obtenue, et la racaille philosophique n'a-t-elle pas fait épouser sa progéniture aux plus hautes nichées du gallicanisme ? La Terreur elle-même, qui aurait dû, semble-t-il, avoir la magnifiante efficacité des persécutions antiques, n'a servi qu'à rapetisser encore les chrétiens qu'elle a raccourcis. »

...ne peut pas être tout à fait mauvais.

Aussi, je lui pardonne presque cet orgueil démesuré qui le fait s’inscrire de lui-même au martyrologue de l’Histoire, je lui pardonne presque ses frustrations sexuelles ineptes qui ne me font pas remuer la deuxième, je lui pardonne presque d’écrire à quarante ans ce qui passe plus facilement à vingt et j’avoue que tout de même, en refermant ce bouquin, j’ai trouvé à cette vieille andouille quelque chose de presque émouvant.
Torpenn
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le 14 août 2012

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