Difficile de trouver les mots juste pour rendre hommage à un tel chef-d'oeuvre ! J'ai découvert Rabindranath Tagore, prix Nobel 1913, en cherchant des classiques de la littérature indienne. Kabuliwallah (qui désigne un marchand ambulant originaire d'Afghanistan) est un recueil de vingt-deux récits, tous éblouissants de beauté et d’humanité. Première nouvelle, L’Histoire du ghāt, où le lecteur réalise rapidement que le récit est porté par le ghāt du Gange lui même, cet ensemble de marches qui permet de descendre au pied du fleuve pour faire ses ablutions, déposer des offrandes ou se baigner. Une autre nouvelle qui m’a particulièrement émue raconte le destin d’une fillette qui apprend à lire et écrire et se retrouve galvanisée par ce nouveau pouvoir qui la fait bondir hors de son petit monde clôturé.
Tagore narre le quotidien des petits gens comme des brahmanes, en magnifiant les grands bonheurs et les petites misères de l’existence humaine, avec une profonde empathie qui m’a retournée le coeur. Les héros de Kabuliwallah sont souvent des fillettes, promises à un mariage arrangée, des veufs sacrifiant tous pour l’avenir de leurs progénitures ou encore des brahmanes déchus qui tentent de sauver les apparences. Forcément empreint de spiritualité hindoue (mais sans en être le coeur du sujet), les chapitres égrènent des destins incertains, des conflits moraux inextricables ou des honneurs à restaurer, avec des personnages qui tentent de se débattre dans un l’ordre social (et cosmique) immuable et parfois injuste.
Ce voyage dans l’Inde traditionnelle du XIXème siècle (le recueil est sorti en 1892) est étourdissant de nuances, de sentiments candides mais jamais sirupeux, de douceurs des caractères et de rudesse des destins. C’est parfois révoltant à l’aune de notre époque et culture (les mariages d’enfants, la femme propriété de l’homme ou encore les conventions sociales liées aux castes) mais on perçoit en filigrane une critique de ces permanences en Inde. En fouillant le web, je lis ça et là qu’il était issu d’une famille aux idées réformatrices, favorable à l’amélioration des conditions de vie des femmes et opposés au système de castes. La lecture en est encore plus passionnante.
Enfin, il faut parler de la plume de Tagore, exceptionnelle de beauté, lyrique et fluide à la fois, je suis partie pour me lire toute son oeuvre, quelle merveille !
Sans ne rien spoiler, la postface de Kabuliwallah est un poème de l'auteur, qui je trouve, résume à merveille ce qui vous attend dans ce chef d’oeuvre… :
« Petites vies, petits chagrins,
Petites histoires de malheur,
D’une linéarité, d’une banalité radicales ;
Des milliers de larmes versées chaque jour,
Si peu sauvées de l’oubli ;
Pas de description élaborée,
Mais un pauvre récit monotone,
Ni théorie, ni philosophie,
Aucune histoire vraiment n’est résolue,
Une fin toujours avortée,
Laissant le coeur insatisfait.
A jamais inachevées,
Les innombrables histoires du monde :
Boutons arrachés avant maturité,
Gloire en poussière, avant d’avoir été chantée,
L’amour, l’effroi, l’injustice
De milliers de vies obscures. »

aaiiaao
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le 2 juil. 2017

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