Officiellement comédie, le Misanthrope tient plus du drame moral et on ne peut songer que le texte seul ait pour but de faire rire. Sans nul doute, Molière devait avoir en tête, lors de l'écriture, une interprétation dynamique pour justifier l'appellation de comédie. On s'étonnera, cependant, qu'elle demeure, trop souvent, présentée ainsi. Si ce n'est la plus amusante, ni la plus belle œuvre poétique de Molière, cette pièce en est en tout cas une des plus réussie dans le sous-texte et dans la complexité des personnages.
Le Misanthrope est l'homme qui n'aime pas les hommes. A force de fréquenter les méchants, il ne les aime plus. Alceste est rongé par la vue du vice, partout dans le monde. Philinte, son ami, connaissant aussi le mal de la nature humaine énonce, pourtant, qu'on doit s'y accoutumer. Nous vivions parmi les hommes, non les saints. Alceste est amoureux de Célimène, une jeune mondaine de 20 ans qui aurait, paraît-il, d'autres amants. Alceste est jugé dans un procès où chacun le sait innocent, mais son accusateur peut-il corrompre la cours ? On demande son amitié et sa franchise et pourtant Alceste n'a que des ennemis dès qu'il parle sincèrement.
Alceste doit subir le pire des maux. Au quotidien le vice de l'homme l'attaque et au quotidien il doit, sinon le combattre, au moins l'accuser publiquement.
Molière, dans cette pièce, réussie le pari de créer une grande tension, une monté progressive, portée par des personnages puissants. Abandonnant le parti de la Farce, l'auteur réalise toute une galerie de caractère complexe et dynamique. Des portraits qui jamais ne vieilliront.
C'est pour cela que le Misanthrope est un peu le Docteur House de Molière. Alceste inspire certainement House dans sa clairvoyance des défauts humains, tout comme House, il s'estime au-dessus des autres et pourtant il souffre aussi de vice semblable. Philinte est tel Wilson, à le supporter malgré sa mauvaise humeur et à faire comme si le monde était normal alors qu'il voit, également, tout le mal de ce siècle.
Pourtant, les autres personnages, mêmes secondaires ont une subtilité à toute épreuve. Si Célimène est une rhéteur de premier rang qui effrayerait même un sophiste antique, sa cousine Eliante possède un naturel doux, une gentillesse accouplée à une sincérité et à un art de dire la vérité avec pudeur. Le modèle, sans nul doute, de la femme idéal pour Molière. Arsinoé, la rivale de Célimène n'apparaît que positivement par rapport à Alceste et pourtant, le mensonge de son discours la rend désagréable au public. Clitandre, Acaste et Oronte, trois amants qui sont développés avec chacun leurs caractères, leurs défauts et leurs profondeurs.
À aucun moment, Molière ne tombe dans la superficialité et ce sont des visages profondément humains que l'on voit tout le long de sa pièce.
On appréciera les messages clairs d'Alceste et les sous-entendus de Célimène. Le style, efficace, souffre cependant d'envolée poétique qui, cependant, aurait jurer avec la pièce. Le portrait des mœurs est, même pour Molière, d'une finesse incroyable et sa critique de l'humanité se retrouve ici. La flatterie, le mensonge, la fausse-modestie, la mondainité, tout cela est critiqué mais le critique lui-même n'est pas blanc comme neige.
Molière semble se positionner sur le débat entre l'idéalisme et le réalisme dans les questions morales mais il ne donne pas, pour autant, de réponse claire.
Doté d'un dynamisme narratif évident, le Misanthrope aura manqué, pour me séduire parfaitement d'un grain de folie, de puissance supplémentaire. Alceste, trop souvent peut être, lorgne encore un peu vers la comédie où il est censé être le héro. Le refus de faire une tragédie affaiblit quelque peu la pièce et le charme a beau opérer, il manque un je-ne-sais-quoi de parfait pour me convaincre totalement.
Malgré cela, le Misanthrope reste une œuvre centrale et magnifique de Molière.