Les tomes 2 et 3 français, sortis à quelques mois d'écart, correspondent au tome 2 original. C'est donc un gros pavé. Déçu à la fin du deux de ne pas avoir satisfait ma soif, j'ai découvert le trois par hasard à peine quinze jours plus tard. A la fin du trois, une ère se termine réellement. Cette critique éloge traite du Goût de la victoire et du Mur de Tempêtes.
C'est toujours le même plaisir qu'au premier tome. Un peu moins peut-être au début, car le défilement des années se retrouve pointillé par un événement d'une journée, étalé sur plus de deux cents pages. Le nouveau personnage principal, outre les enfants de Kuni Garu, c'est Zomi Kidosu, fascinante, que l'on découvre lors de cette journée entrecoupée de flash-backs. Rythme moins soutenu donc, mais cette fluidité de lecture, à nouveau, fait glisser les pages à un tel débit que le haut niveau de lyrisme passerait inaperçu si certaines formules ne nous incitaient pas à nous y attarder. Et surtout, le rythme effréné reprend de plus belle dans la deuxième partie.
Ce qu'il y a de passionnant chez Ken Liu, c'est son talent de novelliste. Cette densité d'écriture, ces phrases réduites au maximum, une syntaxe simple charriant à la fois l'action, l'émotion des personnages, leur quête intérieure, tout en éparpillant des éléments de décor culturel imaginaire, sans jamais égarer le point de vue, et sans oublier de vernir tout ça dans l'élégance d'un style bien à lui à la fois soucieux du détail et de la vraisemblance à la manière de la hard science fiction, et dans la poésie. Dans une œuvre fleuve comme celle-là, il ne perd rien de cette capacité d'épuration nécessaire à un texte court. Rien n'est inutile, ça avance et ça invente en permanence. C'est donc extrêmement dense et fluide et beau et intéressant et intelligent, d'où notre immersion totale.
Après la conquête d'un empire sur une bonne trentaine d'années dans le premier, ici, l'empire en place réforme l'ancien fonctionnement et fait face à une menace extérieure. On pense à la Chine et au Japon, notamment dans les longues réflexions sur ce mode d'écriture proche des idéogrammes, ces îles isolées, et dans la présence de la soie et les formules et posture de politesse. On pensera aux mongols, après. Mais c'est bien aussi de la pure Fantasy, extrêmement classique également avec des épées aux noms exotiques, des guerriers (surtout guerrières dans celui-ci) redoutables, des créatures fantastiques. Ken Liu nous offre ce qu'on a déjà vu mille fois mais renouvelle le plaisir car il évite malgré tout le déjà vu. C'est dû à cette apport culturel et historique asiatique, mais aussi à ce rationalisme minutieux, plus rare dans ce genre. Ken Liu s'éclate particulièrement avec son intelligence, comme dans le premier tome, sur la stratégie militaire. Point de miracle ou de force cosmologique dans la Dynastie des Dents de lion, chaque exploit est justifié, une scène de bataille voit donc tous ses retournements expliqués par un flash-back sur la réflexion stratégique et l'avancée technique permettant l'exploit. C'est là, selon moi, le moteur de cette histoire.
La Dynastie des Dents de Lion est épique au sens large. Un continent entier exploré dans son histoire, sa culture, un grand nombre de personnage sur plusieurs années, des batailles et des conflits, des personnages incarnant des valeurs et des capacités faisant mythe. Mais ce qui semble mener l'écriture de Ken Liu, c'est son amour pour le savoir, ou plutôt pour les motivations du savoir et ses amoureux. Ici, la science ne porte pas son nom. Elle en a plusieurs, elle se mélange avec la philosophie, à l'art du langage, particulièrement à l'écriture. Mais la science est là, en potentiel, dans la rationalité méthodique de plusieurs personnages et leur soif de savoir. Et malheureusement, si la guerre est là, ce n'est pas parce qu'elle est un ingrédient essentiel à la recette de l'épopée, mais parce qu'elle est, de façon tristement palpitante, le contexte dans lequel la recherche trouve motivation.
A travers la paix, l'Empire de Dara essaie de faire évoluer les mœurs, de changer les habitudes politiques, d'équilibrer les inégalités, mais ce faisant, il s'engonce dans des débats peut-être trop pacifiques. A travers le conflit et la guerre, les privilèges sont mis à mal, l'argent enfin dépensé, et les meilleurs esprits valorisés, en dépit de leur sexe, de leur origine modeste ou de leur passé dissident.
Ce que nous offre Ken Liu, c'est une épopée grandiose prenant en compte les tenants et aboutissants d'une civilisation décrivant ses mutations sur plusieurs décennies, sur un rythme aussi effréné que lyrique, ne faisant jamais l'impasse sur la nuance technique, psychologique, culturelle ou politique.
Selon votre goût, à dévorer ou à laisser fondre sous la langue.
Pequignon
9
Écrit par

Créée

le 19 mars 2020

Critique lue 237 fois

Pequignon

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