Le Procès
7.8
Le Procès

livre de Franz Kafka (1925)

Un homme en lutte avec une bureaucratie omniprésente, omnisciente, toute puissante, mais inaccessible. Cette lutte consiste à savoir ce que cette gargantuesque organisation lui reproche. Impossible de savoir… chacun des pitoyables personnages auxquels il a affaire, s’il est censé, par sa position, officielle ou non, connaître les tortueux rouages de l’implacable administration, est en effet totalement ignorant, car, microscopiques parcelles d’un ensemble géant, elles se trouvent incapables d’en saisir le fonctionnement général. Cette froide et officielle logique innappréhendable contraste finalement avec la pratique quotidienne d’une administration dont le malheureux antihéros, K, apprendra qu’elle ne fonctionne, malgré ses modernes airs d’indépassable impartialité, que par les basses connivences qu’entretiennent les administrés avec des fonctionnaires vicieux intéressés par l’unique satisfaction de leurs passions, éternelle vanité en tête, au détriment de tout intérêt supérieur.
C’est là que Kafka se rapproche, je crois, de Céline : les deux auteurs rivalisent de pessimisme quant à la description d’une humanité uniquement mue par la satisfaction vicieuse de ses appétits. Dans ce monde de vices, la femme tient une place primordiale, faisant la liaison, par le biais des draps souillés, entre le requérant déterminé et le fonctionnaire.


K a beau chercher, s’énerver, douter, démarcher, il ne parvient pas à savoir ce qu’on lui reproche.
Le lecteur, a priori, n’en sait pas plus. Alors que l’ennui s’installait au fil des péripéties administratives de K, on en arrive au mystérieux chapitre de la cathédrale, où le lecteur suit une passionnante mais cryptique conversation avec un prêtre, qui pourrait renfermer la clé tant espérée de ce procès lamentable.
Au fond, K n’est-il pas coupable d’avoir douté de l’Administration, de la Loi, de l’État ? C’est que la justice ne s’occupe que de ceux qui s’occupent d’elle. Cherchant un sens là où personne n’en trouve (ni n’en cherche), n’est-ce pas son manque foi en un totalitaire État (pour qui ose le questionner) qui a causé son inévitable perte ? En ce sens, la délivrance des clés de compréhension précisément par un prêtre ne me semble pas un détail anodin.


Reste la parabole du gardien du temple de la loi, difficilement accessible, malgré l’effervescence intellectuelle qu’elle provoque. Proposons malgré tout une interprétation. Si le gardien de la loi serait comme le fonctionnaire : tournant le dos à la Loi, il n’en connaît pas l’essence. De même, le paysan qui se présente à lui est un administré, K, ici, qui tente de s’approcher de la loi, soucieux de la comprendre. Mais le fonctionnaire, comme rouage d’une administration dont la logique globale échappe à sa compréhension, ne peut entretenir avec les administrés que des rapports tenant à la spécificité de sa mission : par les difficultés administratives qu’il lui impose, il empêche l’administré de découvrir l’édifice administratif dans son ensemble, forcé qu’il est de se focaliser sur la microscopique vision que lui impose le fonctionnaire. K a été tenu jusque-là à l’entrée du Temple. Mais le prêtre semble, comme un gardien plus souple, l’avoir permis de pénétrer plus avant dans ce Temple. Mais K, comme en ayant trop vu, désire s’en aller. N’ayant vu le fond du temple, mais ayant perdu l’indispensable foi en un État, foi qu’il aurait dû entretenir par des démarches en vue de son procès, il est éliminé.


J’ai dit ce que je pensais du roman. Un peu long, mais très intéressant vers la fin, à l’écriture limpide. Une œuvre qui nous interroge sur notre rapport à l’État.

Chatov
7
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le 4 févr. 2020

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Chatov

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