WILLIAM SHAKESPEARE, les femmes, les sorcières et les fées

C’est l’une des pages les plus sombres de l ‘ Histoire de L’ Europe et elle ne se déroule pas au cœur des supposés ténèbres du Moyen âge, mais en pleine Renaissance et dans ce Siècle que par un abus de langage, on a appelé le Grand Siècle.Chacun y prit sa part, la Sainte Église apostolique et romaine, mais aussi Luther et Calvin, les monarques et les Princes, mais aussi la bourgeoisie naissante qui faisait ses débuts dans sa longue carrière de crimes


Philosophes et humanistes, pas une voix ne se leva, si ce n’est pour se joindre au chœur de ceux qui appelaient au meurtre…à l’exception d’un seul, mais lui était le plus grand, William Shakespeare, nous en reparlerons..


Dans toute l’Europe et un peu plus dans le royaume de France et le monde germanique, on dressa des bûchers et on jeta dans les flammes, des femmes, des jeunes filles, parfois encore dans l’enfance.


Des tortures atroces et innommables leur furent infligées et il se trouvait toujours des témoins pour dire les avoir vues , chevauchant des balais ou s’accouplant avec des démons.


Une longue période de terreur, presque exclusivement dirigée contre les femmes et menée par des furieux, des fanatiques et pas mal de salauds.


L’inspiration venait de loin et embrassait bien des courants aux motivations sordides ou proches de la démence.


D’abord, cette haine du christianisme contre les femmes, contre la sexualité, contre toute manifestation du désir qu’ont les êtres de s’accoupler et du plaisir qu’ils peuvent y prendre. Nos bons pères et nos Apôtres n’y voyaient que crime et lubricité, œuvre du démon, la beauté elle même était suspecte et pouvait vous mener au supplice, faire tourner les têtes et chavirer les cœurs et les sens était une preuve suffisante que vous étiez la fiancée du Démon.


Mais la haine des prêtres n’aurait pu suffire à justifier toutes ces abominations infligées à des malheureuses, il faut toujours chercher dans le crime sa source première qui fut ici le plus sordide intérêt, comme il le fut dans ce même temps pour l’extermination des Indiens de l’Amérique et des Noirs de l’Afrique.


Un monde basculait, le vieux monde médiéval et dans les villes et les campagnes, il ne suffisait pas d’accumuler son or ou d’accroître ses terres, mais il fallait s’assurer le contrôle du ventre des femmes, dépositaire de sa succession, il fallait s’assurer de la légitimité de sa descendance, être certain qu’un solide gaillard ne soit pas venu, quand vous étiez au champ ou à la boutique, trousser les jupons de la belle.


L’ Église avait aussi une rancune qu’elle avait gardé et un compte qu’elle devait régler avec ce monde paysan qui lui tenait tête depuis des siècles, avec ses vieilles croyances aux esprits et aux fées, son imaginaire peuplé de superstitions et de croyances


Le vieux monde païen avait survécu à des siècles de persécutions et les dieux oubliés des grecs et des romains menaient encore une joyeuse sarabande


Nos bons paysans étaient parvenus à un compromis raisonnable entre une dévotion sincère à la Vierge trônant dans leur Église et la joie de conter fleurette dans les foins ou sous les bosquets.


Les femmes étaient aussi un peu sorcières, guérisseuses et accoucheuses, elles connaissaient bien des secrets, celui des plantes qui guérissent, de la formule magique qui protège..


C’est tout cela qu’il fallait briser, c’est ce monde qu’il fallait faire disparaître et contre lequel le prêtre, le noble et le bourgeois déchaînèrent une horrible guerre.


**Au milieu de cette horreur, une voix s’éleva, celle de Shakespeare, il ne signa aucun manifeste, n’éleva aucune protestation ,mais il fit le plus utile et ce qu’il savait faire le mieux. Ce monde condamné, il lui donna toute sa place dans ses pièces, toutes entières peuplées de fées, de lutins et de sorcières.**


Les critiques n’ont pas assez insisté sur le fait fondamental que le merveilleux shakespearien était un merveilleux totalement et exclusivement païen.


Les Français, du haut de leur suffisance, ont toujours jugé avec mépris le théâtre shakespearien que le grand Voltaire, qui rata ici une occasion de se taire, jugeait ordurier et plein d’immondices.


Ce que ne comprenaient pas les admirateurs de Racine et Corneille et ce qu’ils condamnaient, c’était l’exubérance joyeuse, la vitalité d’un monde plein de bruits et de fureur, mais aussi de jurons et de malédictions , de paroles folles ou inspirées, de visions effrayantes et d’instants sublimes, en un mot, tout ce qui manque à nos Classiques, si raides dans leurs convenances qu’ils semblent semblent avoir écrit avec un bâton planté dans le cul.


La femme shakespearienne a aussi un statut bien plus convenable que nos pauvres gourdes de Chimène ou Bérénice, c’est Lady Macbeth qui soutient le courage chancelant de son mari, elle qui ne tremble pas devant le crime et dans les comédies, comme ‘Beaucoup de bruit pour rien’Béatrice tient tête à Bénédict dans une savoureuse joute amoureuse


c’est la reine Mab qui t’a rendue visite …
Le monde de Shakespeare est peuplé de femmes libres et souvent fortes et surtout ses personnages échappent à l’enfermement moral du monde chrétien.


Dans la plus émouvante de ses pièces, c’est un amour réciproque qui lie Juliette et Roméo, un amour qui se nourrit de doux mots, mais aussi d’ étreintes et de baisers, de désir amoureux , de la joie de contempler un visage aimé ou d’unir ses lèvres à celle de l’être aimé et tout cela dans une innocence purement païenne


Roméo et Juliette sont 2 fois coupables, coupables de s’aimer avec tant de force et coupables de bousculer le vieil ordre patriarcal, celui du mariage imposé que Juliette refuse et celui de l’allégeance au clan, au sang , allégeance qui dresse l’une contre l’autre les 2 familles


Finissons donc cette chronique dédiée aux femmes par cet hommage à Shakespeare et à ces 2 amants qui pour toujours et à travers les siècles seront le symbole du triomphe de l’amour contre toutes les vieilles malédictions et les imprécations d’un Dieu farouche qui dans toute sa méchanceté ne triomphera jamais de la gloire d’Aphrodite


Dès que les jours nous offrent le doux aspect du printemps, dès que le zéphyr captif recouvre son haleine féconde, le chant des oiseaux que tes feux agitent annonce d’abord ta présence, puis, les troupeaux enflammés bondissent dans les gras pâturages et traversent les fleuves rapides tant les êtres vivants, épris de tes charmes et saisis de ton attrait, aiment à te suivre partout où tu les entraînes! Enfin, dans les mers, sur les montagnes, au fond des torrents, et dans les demeures touffues des oiseaux, et dans les vertes campagnes, [1,20] ta douce flamme pénètre tous les cœurs, et fait que toutes les races brûlent de se perpétuer. Ainsi donc, puisque toi seule gouvernes la nature, puisque, sans toi rien ne jaillit au séjour de la lumière, rien n’est beau ni aimable, sois la compagne de mes veilles, et dicte-moi ce poème que je tente sur la Nature, pour instruire notre cher Memmius. Tu as voulu que, paré de mille dons, il brillât toujours en toutes choses: aussi, déesse, faut-il couronner mes vers de grâces immortelles.


Lucrèce, De la nature des choses, Livre I Hymne à Vénus


Et l’hommage de Victor Hugo à Shakespeare


L’autre, Shakespeare, qu’est-ce ? On pourrait presque répondre : c’est la Terre. Lucrèce est la sphère, Shakespeare est le globe. Il y a plus et moins dans le globe que dans la sphère. Dans la sphère il y a le Tout ; sur le globe il y a l’homme. Ici le mystère extérieur ; là, le mystère intérieur. Lucrèce, c’est l’être ; Shakespeare, c’est l’existence. De là tant d’ombre dans Lucrèce ; de là tant de fourmillement dans Shakespeare. L’espace, le bleu, comme disent les allemands, n’est certes pas interdit à Shakespeare. La terre voit et parcourt le ciel ; elle le connaît sous ses deux aspects, obscurité et azur, doute et espérance. La vie va et vient dans la mort. Toute la vie est un secret, une sorte de parenthèse énigmatique entre la naissance et l’agonie, entre l’œil qui s’ouvre et l’œil qui se ferme. Ce secret, Shakespeare en a l’inquiétude. Lucrèce est ; Shakespeare vit. Dans Shakespeare, les oiseaux chantent, les buissons verdissent, les cœurs aiment, les âmes souffrent, le nuage erre, il fait chaud, il fait froid, la nuit tombe, le temps passe, les forêts et les foules parlent, le vaste songe éternel flotte. La sève et le sang, toutes les formes du fait multiple, les actions et les idées, l’homme et l’humanité, les vivants et la vie, les solitudes, les villes, les religions, les diamants, les perles, les fumiers, les charniers, le flux et le reflux des êtres, le pas des allants et venants, tout cela est sur Shakespeare et dans Shakespeare, et, ce génie étant la terre, les morts en sortent. Certains côtés sinistres de Shakespeare sont hantés par les spectres. Shakespeare est frère de Dante. L’un complète l’autre. Dante incarne tout le surnaturalisme, Shakespeare incarne toute la nature ; et comme ces deux régions, nature et surnaturalisme, qui nous apparaissent si diverses, sont dans l’absolu la même unité, Dante et Shakespeare, si dissemblables pourtant, se mêlent par les bords et adhèrent par le fond ; il y a de l’homme dans Alighieri, et du fantôme dans Shakespeare. La tête de mort passe des mains de Dante dans les mains de Shakespeare ; Ugolin la ronge, Hamlet la questionne. Peut-être même dégage-t-elle un sens plus profond et un plus haut enseignement dans le second que dans le premier. Shakespeare la secoue et en fait tomber des étoiles. L’île de Prospero, la forêt des Ardennes, la bruyère d’Armuyr, la plate-forme d’Elseneur, ne sont pas moins éclairées que les sept cercles de la spirale dantesque par la sombre réverbération des hypothèses. Le que sais-je ? demi-chimère, demi-vérité, s’ébauche là comme ici. Shakespeare autant que Dante laisse entrevoir l’horizon crépusculaire de la conjecture. Dans l’un comme dans l’autre il y a le possible, cette fenêtre du rêve ouverte sur le réel. Quant au réel, nous y insistons, Shakespeare en déborde ; partout la chair vive ; Shakespeare a l’émotion, l’instinct, le cri vrai, l’accent juste, toute la multitude humaine avec sa rumeur. Sa poésie, c’est lui, et en même temps, c’est vous. Comme Homère, Shakespeare est élément. Les génies recommençants, c’est le nom qui leur convient, surgissent à toutes les crises décisives de l’humanité ; ils résument les phases et complètent les révolutions. Homère marque en civilisation la fin de l’Asie et le commencement de l’Europe ; Shakespeare marque la fin du moyen âge. Cette clôture du moyen âge, Rabelais et Cervantes la font aussi ; mais, étant uniquement railleurs, ils ne donnent qu’un aspect partiel ; l’esprit de Shakespeare est un total. Comme Homère, Shakespeare est un homme cyclique. Ces deux génies, Homère et Shakespeare, ferment les deux premières portes de la barbarie, la porte antique et la porte gothique. C’était là leur mission, ils l’ont accomplie ; c’était là leur tâche, Ss l’ont faite. La troisième grande crise humaine est la Révolution française ; c’est la troisième porte énorme de la barbarie, la porte monarchique, qui se ferme en ce moment. Le dix-neuvième siècle l’entend rouler sur ses gonds. De là, pour la poésie, le drame et l’art, l’ère actuelle, aussi indépendante de Shakespeare que d’Homère.


Victor HUGO , William Shakespeare

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le 19 oct. 2017

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