C'est après avoir lu il y a quelques temps La Guerre comme expérience intérieure, et enchaîné plus récemment avec Orages d'acier et Le Boqueteau 125 que j'écris cette critique. Très réceptif à l'écriture de Jünger, que je trouve belle et limpide, il m'a toutefois été très difficile de lire rapidement ces récits autobiographiques sur l'expérience que l'auteur a eu de la guerre des tranchées, côté allemand.


D'abord parce que la mentalité de cette époque, pourtant pas si lointaine, me semble parfois tout à fait étrangère et incompréhensible pour des personnes qui ont eu la chance d'être éduquées dans un monde de valeurs universelles et universalistes, dans le rejet de la violence et de la guerre pour des prétextes aussi futiles que la possession d'un bout de terrain (Mais la guerre a-t-elle déjà été faite pour d'autres raisons ? Par ceux qui l'organisent, je veux dire...). Les affrontements pour ce bout de terrain, ici le fameux boqueteau 125, vont entraîner un nombre incalculable de morts chez les soldats allemands qui défendent cette position, comme chez les anglais qui essayent d'en prendre possession.


Et c'est cette violence omniprésente aux prétextes a priori incompréhensibles pour moi qui me rend la lecture à la fois difficile – car je suis sensible en ce qui concerne la vraie violence – et passionnante car il s'agissait pour moi d'en apprendre plus sur les conditions de cette guerre autant que de comprendre la psychologie des combattants en s'y plongeant de l'intérieur, si possible à travers le point de vue d'une personne éduquée et réfléchie. Les récits autobiographiques de Jünger s'imposaient donc !


Sur plusieurs aspects, je crois qu'aux Orages d'acier j'ai préféré le Boqueteau 125. Le premier délivre un récit plus brut et exhaustif de la période que Jünger a passée sous les armes de sa nation, d'abord comme soldat puis comme officier, de 1915 à 1918. Le second est en fait un « chapitre » retravaillé du premier, et réarrangé sous forme de récit indépendant.


Là où le premier était fascinant par son exhaustivité, il lui manquait à mon goût un je-ne-sais-quoi littéraire. Il se concentrait par trop sur les faits, et trop peu sur l'expérience intérieure de l'auteur. Comme l'a dit un autre critique, Jünger est dans une description froide des faits, où les sentiments de l'auteur-narrateur doivent plus souvent être devinés à travers ses actions et la description qu'il fait des choses plutôt qu'à travers des conversations avec les autres soldats ou des monologues intérieurs.


Le Boqueteau 125 est nettement différent des Orages d'acier sur ce point. D'abord, j'ai trouvé que l'auteur y livrait nettement plus de réflexions sur la guerre, ses raisons, la mentalité des soldats (sans les élans bellicistes un peu gênants dans La Guerre comme expérience intérieure). On sent bien que, malgré son courage et son côté va-t-en-guerre, que l'auteur se pose des questions sur l'utilité réelle de ce conflit et sur la valeur des sacrifices qui sont consentis par des soldats qui ne semblent pas vouloir connaître les tenants et aboutissants de ce conflit. Autre temps, autres mœurs.


Ensuite, le côté littéraire est largement retravaillé et ça se sent. Ce qui est fascinant dans l’œuvre de Jünger, c'est cette son caractère de pleine conscience avant l'heure, mêlée à cette philosophie de jeune guerrier(encore à l'époque très nationaliste et belliciste).
Malgré le carnage omniprésent, l'auteur sait apprécier les petites choses de la nature, comme il sait accepter la musique infernal de la machine d'anéantissement mise en marche autour de ses hommes et lui. Tout comme il parvient, à l'instar de l'image que l'on se fait des samouraïs, à trouver des choses appréciables dans toutes ses expériences, même les plus terribles.
Il saura vous faire apprécier la nature omniprésente, le souffle du vent dans les herbes, la force du silence


alors qu'il rampe à travers les herbes en mission de reconnaissance pour déloger un ennemi dans une scène à couper le souffle.


Certaines comparaisons sont absolument hallucinées,


notamment celle où Jünger compare le champ de bataille à un immense moulin infernal qui ingurgiterait toute création pour en recracher des formes tordues, altérées et irrémédiablement détruites.


L'auteur est capable de décrire et de savourer le calme d'un paysage de champs et de jardins retournés à l'état sauvage avec force d'images bucoliques avant de décrire l'atmosphère oppressante d'un village en ruine envahi par les rats et où il plonge comme dans un décor cauchemardesque. Le tout avant de retourner se faire dorer au soleil à demi-nu dans un cratère d'obus, car la guerre, il le rappelle suffisamment souvent, c'est aussi de la liberté, de l'ennui... et donc du temps pour apprécier les petites choses de la vie, celle qui accepte la mort et l'horreur, mais qui malgré tout hurle et se bat tout autour de lui pour continuer d'exister.

Nothurias
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le 4 avr. 2016

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