Je me décide à écrire une critique de ce livre pour deux raisons : pour garder trace de ma lecture, et peut-être pour mieux comprendre ce livre.

Les raisons qui m'ont poussées à le lire sont assez simples : il a été mentionné dans une conférence comme LE livre à l'origine du roman noir (ou gothique) en Angleterre au 18ème siècle, précurseur ainsi de grands ouvrages tels que le Frankenstein de Mary Shelley ou encore Le Moine de Lewis. Ainsi me suis-je dit que si je voulais comprendre ce mouvement et en percevoir son évolution, il me faudrait lire ce roman-ci en premier lieu.

Je ne pourrais faire de critique objective en omettant les annexes de ce livre que sont les deux préfaces, dont la première est fort éclairante quant à des questionnements et des réflexions que je me suis fait à la lecture de l'ouvrage.

Je trouve honnêtement cet ouvrage un peu court pour pouvoir avoir l'impact nécessaire sur le lecteur. Sur un petit ouvrage, 130 pages (ce qui représente cinq chapitres), c'est très court pour poser une ambiance propice à la terreur. Il y a beaucoup de passages dialogués, ce qui, comme le signale l'auteur lui-même dans une de ses préfaces, est le signe qu'une pièce de théâtre aurait été plus opportune (ce qui est mon avis). C'est un roman très théâtral : entre les dialogues, les diverses entrées et sorties de personnages, le peu de changement de lieux, les réactions exacerbées des personnages, la soudaineté des actions et des renversements de situation, les effets mécaniques, l'importance des domestiques... C'est peut-être pour cette raison que le roman ne fonctionne pas autant qu'il le devrait : Walpole se targue d'offrir un ouvrage sans fioritures, sans descriptions excessives, sans passages inutiles à l'action... Certes, mais tout ceci participe pourtant du genre qu'est le roman.

Je trouve la psychologie des personnages assez faible (comme le signale Dominique Corticchiato dans son introduction). On assiste à des renversements brusques et à des comportements illogiques qui n'aident pas vraiment à instaurer une certaine vraisemblance humaine. Walpole se défend d'avoir voulu peindre les réactions de personnages face à des événements extraordinaires, mais, avec le recul des siècles que le lecteur moderne possède, cela ne colle pas. Du reste, les personnages manquent d'épaisseur : Manfred par exemple est peint comme un tyran mais ses menaces, rarement exécutées et bien trop répétées le décrédibilisent.

C'est ici que j'en viens à un point qui m'a surpris et qui me laisse relativement perplexe encore : à la lecture de cet ouvrage, je me suis fait la réflexion que les réactions des personnages et leur façon de parler sont par moment assez médiévales : cette façon de se recommander à Dieu, de se pardonner en un clin d'oeil, l'esprit chevaleresque de Théodore, sans parler des discours interminables de personnages gravement blessés censés expirer sous peu et qui trouvent encore la force de parler. Et que dire de Frédéric qui parvient à guérir de blessures graves alors qu'il pense mourir ? Ce n'est pas tant l'impression médiévale qui me dérange mais le fait que pour un livre écrit au 18ème siècle, eh bien, ça ne colle pas avec ce qu'on pourrait attendre.

La réponse m'a été donné dans la première préface, où Walpole prend la place d'un simple traducteur d'un roman trouvé, et où il date l'histoire (qui évoque les croisades) entre le onzième et le treizième siècle... Donc, au Moyen-Âge. L'impression dès lors s'est éclairée, et qu'on adhère ou non au coup du "livre trouvé simplement retranscrit", on peut se dire que c'est plutôt bien imité... Jusqu'à la lecture de la seconde préface où l'auteur reconnaît enfin la paternité de son oeuvre. Dès lors, m'est avis que c'est un peu dommage d'avoir fait ce choix pour le renier par la suite, car il n'est pas évident de placer une histoire dans la période médiévale sans tomber dans le merveilleux quand on voudrait que l'impression donnée au lecteur soit "fantastique". Mais ceci est mon point de vue.

Je note néanmoins ce qui a pu être récupéré par la suite par certains auteurs, comme le fait que l'histoire se déroule dans un château, la présence d'une crypte labyrinthique avec des trappes et des souterrains secrets, les tableaux qui se meuvent, les voix qui se font entendre, les personnages qui émergent de l'ombre, sans parler de scènes clefs qui se déroulent au cimetière (l'acte fatal de Manfred, ici).

En conclusion, si la terreur - du point de vue du lecteur moderne - n'est pas aussi efficace que l'auteur l'aurait souhaité, il convient de reconnaître ses efforts. Plus qu'un éclair de génie, ce livre doit être semble-t-il perçu comme un tremplin pour les auteurs suivants qui ont su en reprendre certains éléments pour les magnifier. Du reste, l'intrigue, quoi que peu extraordinaire (les histoires de fils cachés, d’usurpation de domaine, de mariages arrangés...) n'est pas mauvaise. Je regrette cependant que le mystère entourant la personne d'Alphonse n'ait pas été davantage exploité et que le passage de la découverte de l'épée soit raconté si brièvement.
FlorianneB
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le 29 juin 2013

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FlorianneB

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