Démythifions quelque peu la « fonction » présidentielle (un petit peu) : en 1920, c’est un Paul Deschanel tombé de la fenêtre de son train & simplement vêtu de son pyjama qui se présente à un cheminot en pleine nuit. Dans les années 90, Boris Eltsine effectue le passage du communisme à l’économie de marché en négociant les privatisations lors de parties de tennis et les fameux changements de côté. Et comment oublier François Mitterrand oubliant les codes nucléaires dans une veste qui partira chez le pressing. Aussi, il demeure facile de railler le début de mandat de Donald Trump. & encore plus facile de se réfugier derrière la maxime ils n’ont que le Président qu’ils méritent, nous sommes épargnés, nous.


Fire and Fury aurait pu se contenter de compiler des anecdotes croustillantes. Ce sont ces dernières qui auront inondées la plupart des articles, reprises par la presse. Ces bonnes feuilles éclipsent donc l’effort sincère de l’auteur de livrer une analyse clinique d’un quart de mandat. Point de posture de Cassandre ici, ni de moralisme péremptoire. Le propos est dense (voire quelque peu fouillis), la photographie sans retouche. En refermant le livre, on comprend un peu mieux les velléités du camp Trump de bloquer la parution de l’ouvrage.


Tout au long de l’ouvrage, une question se retrouve sans réponse : pourquoi a-t-il voulu briguer cette fonction suprême ? Question naïve pourrait on se voir rétorquer mais qui confine à l’essentiel quand on voit comment l’auteur dépeint le quotidien du 55ème Président des Etats-Unis.


Il y a bien sûr cette soif de pouvoir & son ivresse. L’ouvrage souligne que cet enivrement se heurte à la bureaucratie entourant ce pouvoir et aux mécanismes qui l’entourent. Entre effet domino, exercice d’équilibriste, oui Fire and Fury donne l’impression d’un Donald Trump éléphant dans un magasin de porcelaine.


Cette soif de pouvoir entraîne nécessairement une équipe sur laquelle se reposer. Ou déléguer, représenter. Dès lors, il est édifiant de constater l’inconstance des équipes entourant Donald Trump : entre défection, poste sans portefeuille, sans réelle prérogative, mise sous tutelle (voire curatelle), on assiste ici à un dévoiement à l’extrême de la fonction publique. Ajoutons à cela cette manière de contourner les accusations de népotisme tout en confiant des postes-clé et influents à sa famille…oui la Maison-Blanche se retrouve à mi-chemin entre un mauvais remake de Game of Thrones & une version plus fade des Feux de l’Amour.


Car ne nous y trompons pas. Derrière chaque homme d’Etat, il y a ses éminences grises, cabinets, think tank, happy few. Oui mais que faire face à l’impréparation du candidat élu face à la majorité des dossiers, ce refus d’écouter autrui, ce malin plaisir à l’invective, l’intrigue de cours entre collaborateurs voire à l’humiliation. En déroulant mois par mois le calendrier des dossiers auxquels a été confronté Donald Trump, l’auteur relève des constantes : le rejet de toute forme de réflexion de fond, le privilège de la forme (& si possible la plus percutante possible), l’instantanéité comme tempo et la recherche de la polarisation des opinions. Bien sûr, il y a cette manie de tweeter de manière intempestive. Mais Michael Wolff va un peu plus loin en soulignant combien, au fond, 140 à 180 caractères ont aujourd’hui une valeur "législative" aux Etats-Unis. Car au fond, tout se fait/se défait et est scruté par le prisme du compte Twitter de Donald Trump (et non de son compte de POTUS comme le voudrait l’usage d’ailleurs).


Face à la vacuité de raisonnement, de cap, qui dirige vraiment les Etats-Unis ? Entre sa fille (qualifiée "de véritable épouse" dans le livre) & son mari, Steve Bannon (représentant de cette alt-right décomplexée) et ce cercle très restreint de personnes qui ont l’honneur de coups de téléphone quotidien, la Maison-Blanche se retrouve au centre de querelles à base "d’annule & remplace", de rétropédalage à vue et de déclarations vouées à rattraper l’énormité précédemment dite. La Maison-Blanche devient donc le théâtre du "quand un camp en profite, un autre perd. La victoire des uns entraîne la mort de l’autre". Sans compromission aucune, sans filet donc, le vaincu se voit dans l’obligation de démissionner. Mais n’est-ce-pas au final une victoire quand on voit que le vainqueur peut se voir désavouer/sacrifier ?


La permanence de l’Etat n’induit pas la perfection de ceux qui y exercent un mandat. Au-delà des différences, des débats démocratiques, il y a cette faculté de relativiser les querelles idéologiques par l’assurance (plus ou moins grande) de voir un Parti, son représentant & son équipe gouverner un Etat. Il ne s’agit pas d’abonder dans le sens du débat actuel sur la capacité ou pas du Président à Gouverner. Ni même de remettre en avant ce sacro-saint 25ème Amendement. Mais bien de mettre en lumière ces hommes de l’ombre. Ayant pris conscience du peu de temps, d’attention qu’ils ont, du déficit d’intérêt de leur interlocuteur (pour tout autre sujet que lui-même), qu’est-ce-qui motive ces Bannon, Kelly, Ivanka & Jared Kushner ?


Fire and Fury ainsi que la victoire de Trump sont au fond un sacré coup de canif au modèle exécutif à l’américaine. Jadis loué pour sa débauche de moyens financiers comme humain, voilà l’exception qui renvoie dos à dos Républicains & Démocrates. Face aux chorégraphies millimétrées des dernières campagnes/administrations (levée de fonds, Jimmy Fallon, Ellen DeGeneres, livre, campagne), voici donc l’ouragan Trump. Il y a bien sûr ce populisme, ce côté volontiers chambreur voire véhément, ces sophismes et syllogismes. Mais peut-on blâmer l’écho trouvé par ces leviers ? (P.S. : j’abhorre toute pensée Trumpiste, si tentée qu'il n'y en ait une)


Et le livre de relever un fait intéressant. Si le débat parlementaire/politique avait tendance à désavouer la politique menée par une administration, la moindre des prises de position de Donald Trump suit le même cours : trash-tweet, reprise par les médias, indignation quasi-unanime…mais aussi réaction radicale et nombreuse de ses soutiens. Le but n’est donc plus d’apporter sa contribution au débat, de défendre son point de vue. Mais bien d’être le premier à crier haut et fort un avis qui suscitera l’intervention de défenseurs/contradicteurs tout aussi virulents. Le volume et l’écho donc à défaut d’apprécier et de relever la profondeur des paroles de la chanson de l’administration Trump.
Et c’est ce que l’on peut reprocher à ce livre. Malgré la maîtrise des sujets abordés, la précision des faits avancés on ne peut que s’interroger sur la fin de cet ouvrage : alerter l’opinion de manière raisonnée ? Passer le mur du son en sortant un ouvrage soigné mais acide ? A ces questions on pourrait y ajouter celles entourant l’auteur lui-même. Adepte des livres coup de poing, il n’a pas hésité, lors d’un précédent ouvrage, à employer son fils en bas âge pour qu’il aille sous tirer des informations auprès de l’enfant d’un des personnages sur lesquels il menait son enquête. La débauche de moyens, certes, mais (jusqu’) à quelle fin ?

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le 29 janv. 2018

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