Voilà un étrange petit roman.
Dans un style documentaire, quasi journalistique, nous faisons la découverte de Philippos. Une découverte qui laisse des zones d'ombre : nous ne savons pas d'où il vient, mais Philippos se retrouve dans la capitale où il tient le métier de manucure (comme l'indique le titre). Un métier qu'il effectue avec conscience et minutie, presque avec passion.
Il faut dire que les mains, c'est sa passion. A part cela, il n'a rien d'autre à faire dans la vie. Aucun ami, aucun parent, aucune connaissance. Ses week end se passent selon la routine la plus monotone possible.
Seule activité personnelle : un journal, dont nous aurons des extraits réguliers, qui feront contrepoint à la narration. Un journal où il parle... de mains.
Plus le roman avance, plus il paraît évident que les mains constituent une obsession pour Philippos. Il ne s'agit plus seulement d'un objet de travail. Selon Philippos, les mains ont leur propre personnalité, indépendante de celle de leur propriétaire. Chez les personnes qu'il rencontre, il ne considère que les mains. Ainsi, quand il fréquente une femme de son âge, il l'appelle "mains de marbre" et ne parle que de ses mains.
Son journal contient des centaines, des milliers de pages où il évoque les mains. Les mains deviennent, pour lui, un objet esthétique, sociologique, voire même philosophique.
Philippos rêve même d'un monde où tout se ferait par les mains. Il apprend le braille pour pouvoir lire avec les mains. Il se lie d'amitié avec un sourd-muet, pour pouvoir parler avec les mains.

Voilà donc un bien étrange roman sur un bien étrange personnage.
Texte très court (cent pages petit format), Le Manucure est tour à tour drôle, émouvant ou un peu inquiétant. L'obsession de Philippos tourne successivement au ridicule, à l'intellectuel ou au glauque.
L'écriture, simple, ressemble beaucoup à celle d'un biographe ou d'un journaliste.
Comme tout bon roman, Le Manucure est aussi un roman sur l'écriture. L'écriture comme communication, mais aussi sur la capacité de l'écriture à transcender le quotidien pour en faire une œuvre d'art (et puis, après tout, ce sont les mains qui écrivent ; de là à penser que les mains sont les artistes...)
Le roman parvient même à avoir une ambiance à la limite du surnaturel. Surtout avec le personnage de La Dame des Silences.
En tout cas, je suis bien content d'avoir découvert cet écrivain grec contemporain (preuve, une fois de plus, de la grande qualité éditoriale d'Actes Sud), et je vais sûrement tenter de m'en procurer d'autres.

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le 29 nov. 2014

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SanFelice

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