Un livre qui passe à côté

Voici un roman qui s'ouvre sur la difficulté pour les femmes de la haute-bourgeoisie de se distraire en Guyane à l'époque de la remise en place de l'esclavage ; et on imagine bien qu'à part casser du sucre sur le dos des voisines ou colporter les derniers potins, il n'y avait pas grand chose à faire sous cette chaleur. On commence donc sur le ragot du moment, qui concerne un esclave noir et la fille du procureur. Même si raconté comme ça on dirait le début d'un roman Harlequin, j'ai trouvé cette partie qui nous raconte le rituel de la visite impromptue plutôt sympathique.

Ensuite on retrace la vie en Guyane de tous les personnages concernés pour tirer totalement le jour sur cet événement et ce qui suivra. Enfin, tirer le jour, ce sont de bien grands mots puisque ce qu'il va nous apprendre n'est finalement même pas à la hauteur de cette petite rumeur et apporte surtout la lumière sur les passages qui laissaient le doute désagréable du lecteur qui ne sait pas si c'est volontairement incertain ou juste mal écrit.

Bien que le roman s'inscrive dans un cadre historique et intègre au moins un personnage réel (Victor Hugues) on passe assez loin du contexte pour s'intéresser principalement aux relations entre les personnages. C'est d'ailleurs plutôt dommage parce que le contexte était justement intéressant et entrer dans les détails de ce qu'a réellement fait Victor Hugues aurait apporté plus que de nous parler de la difficulté des biographes à cerner sa personnalité. D'autant qu'ici on ne sait pas trop ce qui s'est réellement passé ou non au sujet de l'armée qu'il tente de monter. On s'intéresse donc aux rapports de domination entre les personnages, mais sans mettre suffisamment en valeur les tensions sociales qui pouvaient exister à l'époque. Pour donner un exemple, il y a le procureur qui ne semble pas très apprécié de l'élite locale car c'est un "ami des noirs". Je veux bien croire qu'à l'époque ça allait à l'envers des mentalités mais on n'a pratiquement aucune information pour savoir ce que c'est exactement quelqu'un qui aime les noirs à cette époque : est-ce qu'il refuse d'avoir des esclaves ? Est-ce qu'il a dit un jour à table qu'il pensait que les noirs étaient des gens comme les autres ? Est-ce qu'il les traite juste avec moins de mépris que les autres et ne les bats que les jours pairs ? Il y a aussi une scène où il traverse le quartier blanc, en paniqu,e pour arriver dans les quartiers noirs où il se sent enfin en sureté. Et ici encore on ne nous détaille pas son souci avec la société blanche, on ne nous parle pas non plus de la réaction des esclaves et affranchis qui le voient traîner devant chez eux, ni de ses rapports avec les esclaves de manière générale...

On lit donc surtout l'histoire de personnages qui cherchent à se séduire les uns les autres, et encore c'est fait sans passion : on a, comme souvent, des gens qui s'aiment du premier regard sans aucune raison et souffrent d'aimer en particulier cette personne dont ils ne savent rien. Le plus crédible est encore la relation d'une maîtresse avec son esclave qu'elle souhaite utiliser pour se venger de son mari et de son amant... en ayant une relation secrète avec lui (mais où est la vengeance si personne n'est supposé le savoir ?). On a bien un rapport de domination un peu ambigu entre ces deux protagonistes qui tentent de s'utiliser, mais c'est traité bien trop superficiellement et même la toute fin a l'air de sortir de nulle part. Pas parce qu'elle est improbable, au contraire, mais parce que si c'est là que l'auteur voulait en venir, pourquoi se perdre avec les autres personnages ? Pourquoi ne pas traiter directement et uniquement des rapports de domination entre ces deux-là ?

Ajoutons à cela que le livre n'est pas spécialement bien écrit et, si l'auteur arrivait à installer un certain rythme dans les premières pages, ça s'efface aussitôt qu'on s'approche de ceux qu'il souhaite décrire.