C'est un roman social que nous propose Pascal Manoukian en cette rentrée littéraire.


Direction L'oise, Essaimcourt.


Une famille unie, Christophe et Aline, la quarantaine, deux enfants; Léa 17 ans qui prépare son bac socio-économique, Mathis atteint d'une étrange maladie ( il est fragile et a besoin de soins).


Ils ont acheté à crédit une petite maison. Ils vivent modestement en construisant une belle unité familiale.


Christophe travaille comme contremaître chez Univerre, usine construite sur les anciennes terres agricoles de son enfance - vendues par son père à l'époque pour joindre les deux bouts.


Aline dont tout le village se souvient de Staline - le surnom de son grand-père Léon - est ouvrière dans une usine de textile.


Ils sont heureux mais leur bonheur est précaire. Un rien peut tout faire basculer comme à d'autres, leurs voisins par exemple qui licenciés par sms avaient dû vendre leur maison pour une bouchée de pain.


Léa révise activement pour décrocher son bac. C'est vers elle qu'ils portent tous leurs espoirs, un diplôme pour sortir de cette spirale, lui permettre d'accéder à une autre vie.


Un matin en arrivant au travail chez Wooly, les machines les plus modernes, les plus performantes ont disparu, dont celle d'Aline qui se retrouve sur le carreau. Quelques semaines plus tard, chez Univerre rien ne va plus, on parle de délocalisation et une grève sera entamée. C'est un tsunami social pour Aline et Christophe qui veulent à tout prix faire comme si de rien n'était pour protéger les enfants et permettre à Aline de vivre l'année de son bac sans soucis.


Le décor est planté. Quelle claque !


Une fois encore, Pascal Manoukian me touche, il me bouleverse car quelle empathie dans son écriture. Il trouve les mots justes et nous fait ressentir ce que de nombreux travailleurs vivent ou ont vécus suite à une délocalisation ou fermeture d'entreprise. Comment en quelques regards, la caissière du supermarché peut décrypter qui a reçu sa prime de licenciement par exemple.


Il nous parle du monde ouvrier, de sa précarité, de mondialisation, de délocalisation, de déclassement et fractures sociales. Des dérives du capitalisme, du fossé énorme entre les deux classes sociales, patron et ouvrier. De la course au profit et du prix à payer.


L'écriture est fluide, aiguisée, puissante, juste, acérée. Les mots sont bien choisis, une petite pointe d'humour noir voire de cynisme nous délivre la détresse du monde ouvrier. C'est réaliste, noir, poignant.


On suit un peu comme un journal, mois après mois, la vie de cette famille qui s'enlise peu à peu et essaie de trouver des solutions pour éviter le déclassement social.


Un livre à lire de toute urgence.


Ma note : coup de ♥


Les jolies phrases


Essaimcourt a la beauté de ces arbres presque morts, chaque feuille est un miracle et vient apporter sa tache de vie là où celle-ci a presque disparu.


La terre reste mais les usines partent.


Vous la connaissez cette terre, bon sang ! Vous l'avez travaillée durement. Elle est belle, grasse, généreuse. Ils vont lui arracher les entrailles, la castrer, la rendre stérile, la bétonner. Elle vous a toujours nourris. Les usines, elles, ne poussent qu'une fois et n'engraissent que ceux qui les possèdent.


L'innovation inventait perpétuellement de nouveaux emplois qui en s'imposant, détruisaient les anciens, à terme, le solde entre postes créés et postes supprimés devait devenir positif.


C'est comme ça, à peine fini d'élever ses enfants, il faut déjà s'occuper des parents.


Aline vient de comprendre la mondialisation : c'est lorsque son travail disparaît dans un pays dont on ne connaît rien.


Plus les parents ont peur du déclassement, plus ils poussent leurs enfants à entreprendre des études, mais plus les enfants accumulent les diplômes, moins ils trouvent du travail correspondant à leur niveau.


Vivre sans usines, c'est vivre sans poumons. C'est par là qu'un pays respire, les gars. Sans elles, il s'essouffle, contraint d'être en permanence sous assistance. La désindustralisation, c'est le cancer.


La mémoire est comme un buvard entre deux pages de cahier, elle ne garde que des traces. Des mots sans importance, des moments de rien.


C'est la faiblesse des pauvres et des petits de s'accrocher à l'existence, si médiocre soit-elle. S'il suffisait d'abandonner pour se libérer des souffrances, il n'y aurait pas autant de misère.


Les donneurs d'ordre ne savent même pas qu'ils existent. Ils suppriment des postes, en rajoutent, en transfèrent, en fusionnent, derrière leurs écrans, les yeux rivés sur le SIG, le REX, e EBE, le EBIT. Ce sont les seuls noms qu'ils prononcent dans leur espéranto boursier, les autres n'existent pas, Sandra, Magali, Christophe et Cindy ne rentrent pas dans leurs tableaux Excel, ou alors en soustraction.


Depuis, comme un cyclone, le chômage a déforesté sa vie, plus un de ses arbres ne tient debout, on dirait les montagnes pelées d'Haïti, rien pour arrêter l'érosion, personne, un Sahel affectif.
https://nathavh49.blogspot.com/2018/09/le-paradoxe-danderson-pascal-manoukian.html

NATHAVH
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le 30 sept. 2018

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