Si l’on se réfère à Olivier Donnat ce sont les jeunes qui sont, en france, les plus gros consommateurs de culture. Si l’on ajoute que 89% d’entre eux n’écoutent pas, ou très peu de musique classique mais de la chanson, du rock ou de la techno, nous voyons clairement que notre étude ne pouvait pas passer ces musiques sous silence.
Dans quelle situation se trouvent-elles aujourd’hui ? Il faut tout d’abord noter que leur place commerciale prépondérante a quelque peu déstabilisé ces formes d’expression. En effet, l’une des composantes essentielles du rock, du jazz, de la techno ou de la chanson était, sinon leur caractère volontiers contestataire, leur marginalité. Louis Armstrong a appris la trompette en prison, Elvis était accusé d’attentat à la pudeur... Qu’en reste-t-il aujourd’hui... pas grand-chose. David Bowie est côté en bourse, Start Me Up des Rolling Stones sert au lancement des produits windows, Johnny Halliday est Chevalier de la Légion d’Honneur...

Embourgeoisement est un mot bien faible pour rendre compte de la situation. Interrogé sur l’avenir du rock, Thom Yorke de Radiohead le comparait à un “mourant sur un brancard” ! Interrogé sur la techno Boulez déclarait : “Je me souviens, un soir, d’une fête techno sous mes fenêtres. Durant des heures j’ai entendu ce rythme primaire : le pas de l’oie ! J’ai l’impression que, alors qu’ils pensent être des rebelles, ces jeunes sont prêts à être broyés par la société puisqu’ils se laissent emporter et même exalter par ce rythme qui les mène. Il y a quelque chose du panurgisme dans ce martèlement imbécile qui me paraît épouvantable, qui semble dire : vous êtes des esclaves et vous resterez des esclaves.”.

Pourtant, et même si le mercantilisme n’en est pas absent, la techno présente aussi un visage artistique. Simplement, comme toutes les musiques, l’esthétique techno est d’abord conditionnée par sa fonction sociale.

Les musiques populaires réactivent donc le caractère social et festif de la musique. Gérard Lesne explique : “En fait je ne suis venu à la musique classique que vers 20 ans. Avant, dans ma banlieue, j’avais tâté du jazz et de la variété. J’ai même enregistré deux 45-tours vers 1983 (...). En réalité, le rock et le jazz vous ouvrent à tout. Il n’y a qu’une chose que je n’aimais pas alors, c’étaient les grosses voix vibrantes à la Castafiore. Notre répertoire est en général moins intellectuel que le répertoire classique et romantique. Il s’adresse davantage aux nerfs et aux sens. Il est proche en cela du rock et des musiques populaires.”.

On peut dire que, pour résumer, depuis leur apparition, toutes les musiques populaires ont eu à lutter contre un mouvement fort initié par la société qui tend à les adoucir et les domestiquer. Si l’on pense par exemple à l’incroyable vitalité artistique du rock dans les années 1960 et que l’on compare avec la situation actuelle il est sûr que beaucoup de choses ont changé et que le rock, comme expression de liberté et de révolte, est mort.

Cependant ce serait assurément un grand tort de conclure à la nullité d’une culture populaire musicale vivace et créative comme le font certains. En effet, depuis toujours il existe au sein de ces musiques des courants dits “alternatifs”, “underground” ou tout simplement “indépendants” qui résistent à cette récupération commerciale. Le free jazz est ainsi né — en partie — par la volonté des Noirs de reprendre les commandes d’un mode d’expression dont ils s’estimaient dépossédés par l’industrie commerciale blanche.

Nous abordons ici la question de la reconnaissance d’une culture populaire authentique digne d’intérêt. Se pose presqu’aussitôt la question du relativisme : cette culture vaut-elle la culture savante ? Il est bien entendu évident qu’une position de relativisme absolu est intenable. En effet, le refus de toute hiérarchie qualitative — au nom du tabou du jugement de valeur — aboutit paradoxalement à la violer. Le refus du jugement de valeur contient en filigrane le postulat que toutes les sociétés se valent, ce qui est un jugement de valeur. Sur ce point tous les auteurs — ou presque — sont d’accords. Le problème survient quand il s’agit de définir une hiérarchie de ces pratiques culturelles. Si l’on suit par exemple la démonstration de Jean-Louis Harouel, celui-ci nous explique que : “la vraie culture, c’est bien évidemment la culture dans son sens classique et noble, qui est resté jusqu’à il y a peu son sens courant (...). Le sens classique du mot culture est issu de la cultura animi des anciens, “qui tire la culture vers les choses de l’esprit, mise en valeur de l’âme”. Et d’ajouter : “Pour l’essentiel la culture nous vient des élites intellectuelles et artistiques du passé, travaillant au service des élites sociales. Tout au long d’un passé millénaire seules les élites sociales — les dominants si l’on préfère, ou du moins une partie d’entre elles, ont pu se consacrer à la culture (...). C’est aux immenses inégalités de jadis que nous devons ce fabuleux héritage de l’Occident : le progrès de la conscience.”.

Pauvres gens du peuple — les dominés si l’on préfère, vivant sans culture, donc à l’état de nature en fait, des bêtes ou presque. Dès lors la culture savante serait supérieure en cela qu’elle élèverait l’Homme là où la culture populaire l’avilirait. Malheureusement les deux conflits mondiaux sont là pour témoigner qu’il n’en est rien. Le fait d’être cultivé ne garantit nullement d’avoir un quelconque sens de l’éthique ou une élévation morale. De là bon nombre d’avant-gardes artistiques au premier rang desquelles Dada, que Harouel ou d’autres rejettent, nous l’avons vu, et se retrouvent dès lors dans la position du tout-nostalgique : “c’était tellement mieux avant !”. La culture ne serait plus qu’un legs du passé, quelque chose qui n’existe plus.

A chaque société globale correspond un type de culture. Mais toute nation est multiculturelle, le problème politique est de savoir si la diversité culturelle, en termes de religion, de différences sociales, d'appartenance nationale, est susceptible d'être dépassé par le projet commun car la culture est une force d'homogénéisation. Mais elle est aussi une force de différenciation par les sous-cultures et d'opposition par les contre-cultures.

On appellera sous-culture le système des modèles, rôles, sanctions, valeurs et symboles par lesquels se distingue, au sein d'une société globale, un groupe particulier présentant une identité collective propre. Par rapport à la culture de la société globale, la sous-culture d'un tel groupe manifeste sa capacité de résistance à l'intégration ; par rapport aux membres de ce groupe, elle manifeste sa puissance intégrative. Ses expressions de variance ou de déviance par rapport aux normes et codes de la culture "dominante" traduisent les facteurs d'inégalité et de conflits qui structurent l'ordre hiérarchique de la société globale. La persistance ou le regain des sous-cultures d'identité régionale comme le Pays-Basque ou la Corse, longtemps "étouffées" dans le processus historique de construction de l'identité nationale française, illustrent ce phénomène. Il existe aussi des sous-cultures de classe sociale — ouvrière, bourgeoise, des sous-cultures de classe d'âge — adolescente, senior... — ou des sous-cultures religieuses — protestante, juive... Lorsque le contenu de la sous-culture s'oppose à la culture dans laquelle elle s'insère, on parle alors de contre-culture.
 
Quand un groupe social intègre ses membres par la seule sous-culture, celle-ci tend à devenir une contre-culture, rejetant la culture de la société englobante et se définissant parfois en inversant celle-ci. Les contre-cultures n'en jouent pas moins un rôle dans l'évolution de la culture dominante et dans le changement social : tel élément contre-culturel aujourd'hui se diffusera et deviendra un élément de la culture globale d'un groupe social ou d'une société.
 
Une sous-culture peut donc s'ériger en contre-culture lorsque ses éléments de différenciation ou d'opposition par rapport à la culture dominante l'emportent sur ses éléments d'intégration à celle-ci.
 
Une contre-culture désigne ainsi l'ensemble des valeurs et des modèles qui s'opposent à la culture officielle dominante.

Si l’on regarde les thèses de Jean-Pierre Sylvestre, de Roland Quillot ou Jean-Claude Gens on se rend compte qu’il ne peut pas y avoir de relativisme absolu, nous l’avons dit, tout le monde est désormais d’accord, c’est un fait. Mais que, dans le même temps ils sont incapables de proposer des critères d’évaluation pour ce qui touche au domaine de l’art. Iannis Xenakis disait qu’ “en musique les théories importent peu, ce qui compte c’est de réaliser quelque chose qui vaille la peine d’être entendu...”.

C’est là-dessus que nous en terminerons, il n’est apparemment pas possible de trancher nettement et d’affirmer que telle culture soit supérieure à telle autre. Dans le même temps, il est tout aussi impossible de dire qu’elles se valent toutes. Ce paradoxe nous accompagnera tout au long de notre recherche, nous éviterons soigneusement de porter quelque jugement de valeur que ce soit mais nous garderons à l’esprit cette phrase de Jean-Louis Sirinelli : “l’étude de cet air du temps et la prise en compte du “yé-yé” ou d’une chanson de Michel Delpech ont-elles, non seulement une légitimité scientifique, mais, à supposer que tel soit le cas, un sens ? Ne sommes-nous pas, au contraire, en face d’une insoutenable légèreté de tels objets, sans réelle signification pour l’historien ? La conviction de l’auteur est que ces objets présentent, au contraire, une réelle densité (...) leur analyse révèle, on l’a vu, des évolutions socio-culturelles majeures.”.
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le 10 avr. 2013

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