Alors, je ne suis pas contre une configuration qui sorte un peu de l'ordinaire pour un Que sais-je ?, bien au contraire, et la structure en abécédaire de celui-ci aurait pu permettre une approche originale aussi bien que pertinente de la thématique de la danse. De mon point de vue, c'est raté. C'est raté parce que malheureusement très décousu dans l'ensemble. Si on prend un ABCdaire Flammarion, on verra que les différentes entrées sont repérables comme rattachées à des grands thèmes, ce qui donne non seulement une bonne cohérence au livre, mais qui permet aussi une lecture selon les choix personnels du lecteur : on peut lire les entrées au hasard des pages, dans l'ordre alphabétique (ce qui est toujours le moins intéressant), selon un ordre de thématiques auquel on donnera sa préférence (par exemple, les entrées liées au contexte historique en premier, pour se familiariser avec le sujet, avant d'attaquer des entrées plus techniques). Ici, il n'y a eu aucun travail de ce genre, aucune réflexion amorcée sur la réception par le lecteur. Donc il est lâché au hasard, au milieu de mots qui vont dans tous les sens et dont on peine à comprendre comment ils ont été choisis. Quel a été le projet pensé par Geisha Fontaine avec Les 100 mots de la danse ? Je me le demande bien.


Que les thématiques abordées soient diversifiées, rien que de plus normal : pas question ici d'une histoire de la danse ou de parler uniquement technique. Seulement, voilà, un Que sais-je ? s'adresse à un assez grand public. Le public très amateur de danse cherchera une documentation bien plus poussée qu'un petit livre de 120 pages. Donc, s'il y a de grandes chances que le lecteur-type des Que sais-je ? sache, tout de même, qui sont Ninjinski, Noureev, et Pina Bausch, voire Merce Cunningham, il y a peu de probabilités pour qu'il soit familier des noms de Rudolf Laban ou de Martha Graham - pour donner seulement deux exemples, bien que ceux-ci soient légion -, qui sont de grands noms de la danse, mais peu connus, peut-être même inconnus du grand public. Or, tous ces noms sont jetés par-ci par là, dans un contexte assez flou. De quoi dégoûter qui ne connaîtrait pas le monde de la danse et cherche à le découvrir par le truchement de ce livre.


Et j'aimerais bien savoir ce que peut nous apporter une entrée telle que "Barre". Merci bien, Geisha Fontaine, mais nous ne sommes pas totalement stupides (c'est un nous collectif, pas un nous royal, je le rappelle), et nous savons à peu près en quoi consiste une barre d 'entraînement pour les danseurs. Maintenant, ce n’est pas inintéressant de savoir à quelle époque la barre fut introduite dans la formation des danseurs, et pour quelle raison, mais comme l'auteure n'a écrit qu'une seule ligne là-dessus, je n'en vois finalement pas la portée. Pour le coup, on reste sur notre faim juste quand ça commence à titiller notre curiosité, et j'aurais donc tendance à penser que c'est le genre d'informations qu'on a envie d'aller chercher dans une histoire conséquente de la danse, pas dans un Que sais-je ? en abécédaire. D'autres entrées utilisent des termes techniques non explicités, certaines explicitent des termes techniques dont on se contrefiche (en tout cas moi), parce que, de toute façon, ça ne nous dit rien sur la danse et qu'on oubliera le mot tout aussitôt. Mais le pire, ce sont ces entrées trop fréquentes où Geisha Fontaine s'adonne à de la pseudo-philosophie. Alors soyons clairs, les phrases du style "Si le monde est un théâtre et la vie une danse, la mort est forcément tentée par la danse", "La diagonale peut être celle du fou, celle du corps ou celle du lieu", etc., etc. (j'en ai toute une liste dans le genre), je m'en passe carrément. C'est prétentieux et, pire, c'est complètement creux. Alors oui, Geisha Fontaine est chercheuse en danse, et elle a voulu aller du côté de l'essai, plutôt que du documentaire. Pourquoi pas, mais il aurait sans doute fallu limiter les entrées et creuser les mots et les textes. Et il aurait encore fallu que le lecteur puisse posséder des repères chronologiques sur l'histoire de la danse. Bref, le lecteur a besoin de bases solides, tout comme le danseur (ça y est, j'écris comme Geisha Fontaine).


C'est dommage. C'est dommage, parce que, étant donné l'inégalité de l'ensemble, forcément, on trouve des entrées qui font leur bien travail, que ce soit expliquer ce qu'est la danse moderne et quels en ont été les acteurs principaux (mais pour ça, il faut arriver à lettre M pour "Moderne", ça fait du chemin à parcourir), parler de la diversité des danses urbaines et de leurs origines, ou pour amorcer une réflexion sur le mouvement ou la vieillesse. Rassurez-vous, ce ne sont pas les seules entrées de qualité, mais force m'est de constater que ces dernières apparaissent en minorité.


Pour qui donc a été écrit ce livre ? À qui correspond-t-il ? Pas aux grands amateurs, qui connaissent trop bien le sujet de la danse pour y apprendre quelque chose. Pas aux novices complets, qui vont être perdus dès les première pages dans des références, non pas trop érudites, mais qu'ils ne possèdent pas. Pas pour moi, qui suis pourtant entre les deux : je ne suis pas une passionnée de danse, mais juste une personne curieuse qui est, à l'occasion, allée voir des expos sur la danse, a lu un livre ou deux grand public, a regardé des documentaires, et qui suis spectatrice de temps à autre (mais ce n'est pas courant). Et pourtant, je n'ai pas trouvé mon compte ici. Manque de cohésion et manque de rigueur sont à mon avis les maître-mots de ce livre qui finit par passer plus ou moins à côté de son sujet.

Cthulie-la-Mignonne
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le 16 juil. 2018

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