Tout d'abord, ceci est bien plus un commentaire qu'une critique car je n'ai pas la prétention de pouvoir rédiger une critique d'un ouvrage de l'un des monstres sacrés de la littérature française du 20ième siècle. La SF et les policiers, soit (et encore), alors Aragon...
Les choses étant claires, entrons dans le vif du sujet. "Les beaux quartiers" est le second tome du cycle "Le Monde réel". Il s'agit d'un roman, si l'on en croit sa postface, dont l'écriture dicta à son auteur la décision de créer ce cycle. Ainsi, "Les cloches de Bâle", premier opus de la série, n'était au départ qu'un roman stand-alone.
Et il est vrai qu'Aragon, dans la première partie d'un ouvrage qui en compte trois, s'attache à décrire par le menu, dans un style très naturaliste, une petite ville de province (imaginaire), Sérianne. Petite ville qui est montrée sous toute ses coutures, y compris les moins reluisantes : son usine de chocolat, le patron et sa famille, les ouvriers italiens, sa bourgeoisie,s es notables, ses commerçants, ses bigots, ses politiciens, ses fêtes, ses associations. Et aussi ses coucheries, ses mesquineries, ses drames. L'intention réaliste y est, et en dépit du caractère imaginaire de la bourgade, c'est réussi.
Les secondes et troisièmes parties se déroulent à Paris, et se veulent tout autant teintées de réalisme. Si Aragon y excelle dans l'évocation des miséreux et des prolétaires, le propos devient moins anatomique, quelque peu biaisé qu'il est par la tendresse et l'amour que l'auteur porte à sa ville natale. En contrepartie, cela donne de très beaux passages poétiques, comme par exemple le premier chapitre de la seconde partie.
Cependant, bien que l'action se déroule en 1913, la description que nous donne Aragon de ce qui, à l'époque, n'était pas encore désigné sous l'appellation d'oligarchie, est criante de vérité et d'actualité : collusion entre politiques, banquiers et industriels, flux financiers, manœuvres géopolitiques pour vendre des armes, etc. Et cette ambiance cocardière, d'avant-guerre, alors que Poincaré fait voter la conscription à trois ans en vue de ce qui sera la plus grande boucherie - à ce jour - de l'histoire. Le monde a t'il vraiment changé depuis un siècle ?
La troisième partie se déroule plus quant à elle dans un Paris interlope, celui des cercles de jeux et des demi-mondaines. On y découvre l'extraordinaire personnage de l'une de ces dernières, Carlotta. Et au delà de la seule Carlotta d'ailleurs, Aragon insiste - tout au long du roman - sur la place peu enviable des femmes dans la société, depuis la bonne engrossée par un fils de famille de Sérianne et objet de l'opprobre de la bonne société locale, jusqu'aux parisiennes violentées par un flic corrompu.
En conclusion, un roman riche, foisonnant, à multiples facettes et - est-il utile de le préciser - remarquablement écrit, avec une maitrise de la langue qui est la marque des plus grands.