Pitch :
Les Furtifs, c’est une histoire qui prend place en 2050. Dans un monde ultra-connecté, vendu au commerce et aux marques. Mais c’est surtout l’histoire de Lorca et Sahar Varèse qui un jour perdent leur fille de 4 ans, Tishka, qui ne se trouve pas dans sa chambre à leur réveil. Sahar est persuadée que sa fille a été enlevée et est morte. Lorca lui, pense qu’elle est partie avec les furtifs, sorte d’êtres capables de se déplacer à une vitesse phénoménale, de fusionner avec leur environnement proche, et surtout, d’être invisible à l’oeil humain. Pour continuer ses recherches, Lorca intègre le RECIF, sous-division de l’armée, spécialisée dans les furtifs. Pour mieux apprendre à connaitre ses « choses ». Et tenter de retrouver sa fille.
« Les Furtifs » fait 688 pages très précisément. Sur ces 688 pages, 80% sont passionnantes. Damasio y décrit un monde d’après effrayant, où la technologie et la publicité a pris le pas sur tout le reste. Les villes sont totalement privatisées (leurs noms sont associées à une marque, comme NestLyon), le monde de l’éducation n'existe que pour ceux qui ont les moyens de se le payer, les mouvements des habitants sont tracés à l'aide de bagues, les rues ne sont accessibles qu’aux personnes ayant payé le bon forfait ou portant la bague adéquate, les pop-ups publicitaires et intrusifs se retrouvent dans la vie réelle. Un monde affreux mais qui ne parait pas si illusoire au regard de l'avancée de nos sociétés actuelles.
Damasio aimant la novlangue, il invente des mots, en modifie certains, n’explique pas tout, ou du moins pas tout de suite, et fait le pari de laisser l’imaginaire du lecteur faire le reste du travail. Bref, il fait une nouvelle fois confiance à son lecteur. Et c’est la grande force de ses romans.
Damasio y déroule une histoire fascinante, de dingue même, où furtifs et Humanité se rencontrent, avec un sous-texte (pas vraiment "sous" d’ailleurs) politique très altermondialiste.
Et c’est brillant sur de nombreux passages, passionnant souvent, étouffant, touchant aussi. Il y a des chapitres incroyables (le tout premier, dans cette salle immaculée, que certains cinéastes se délecteraient de tourner. Celui de « Crisse-Burle » ou « Maman’Gouste » pour ne citer qu’eux). Damasio sait raconter une histoire, il le prouve à nouveau.
Sur les 688 pages que compte « Les Furtifs », 20% sont un vrai chemin de croix à lire. Parce que Damasio plombe son récit de phrases lourdes, comme s'il s'était lancé un défi de placer le plus d’adjectifs et de novlangue possible dans certains passages - ce qui n’apporte rien, bien au contraire. Parce qu’il veut à tout prix faire parler ses furtifs ou ceux ayant un lien avec eux, et que, ceux-ci n’ayant (logiquement) pas le même sens du langage que nous, cela donne (notamment) un interminable dernier chapitre, avec mis bout à bout, des pages entières composées uniquement de mots ayant les mêmes consonances ou résonances (pour reprendre un terme qui lui est cher ici). L’idée est logique, sincère, mais le résultat est aussi illisible que, disons le franchement, ridicule.
Là où « La Horde du Contrevent » sublimait ces mots inventés, où le récit débordait de poésie, de nombreux passages sont abimés par des divagations sémantiques (qu’on dirait de « paraitre ») vraiment pas nécessaires.
Le problème de ces 80%/20%, c’est que ce sont les 20% qui empêchent d’apprécier pleinement l’œuvre. Ce style imbitable par moments désagrège en partie la magie de cette histoire. Et je n'arrive pas m'enlever de l'esprit qu'avec un vrai oeil critique derrière lui, des relectures pleines de recul, et donc une autre maison d’édition que La Volte (qui ne me semble pas avoir fait ce travail là), il aurait sans doute pu gommer beaucoup des défauts présents ici. Son roman en aurait été sûrement transformé.
(oui, j'ai bien conscience que cette critique est aussi lourde à lire que certains passages de ce roman)