Ce roman du milieu du XIIIe siècle narre une foule d'aventures parfois répétitives: ainsi, la récurrence du thème des brigands qui veulent dévaliser Lancelot, et la liste impressionnante des provocations en duel sous tous les prétextes, auxquelles Lancelot doit répondre. On relève la fréquence du thème de l'insécurité: hors-la-loi en tout genre, seigneurs barbares, pillards et abusifs...

Cette surcharge quantitative banalise l'exploit chevaleresque, même si l'écriture, somme toute assez nerveuse, maintient le suspense correctement lors de la narration des combats.

Le merveilleux est également présent dans le roman: d'étranges apparitions macabres dans une forêt, des bruits et des clameurs de "chasse sauvage" (hommage à la "Mesnie Hellequin"), une sorcière sylvestre dont la hideur est décrite avec un luxe exceptionnel de détails, et bien entendu les enchantements du château de Rigomer lui-même, avec le dragon qui surveille le passage d'un pont, un chevalier qui porte triple faix de hauberts et d'armures, une cave sans aucune sortie (comment a-t-on pu y entrer ?), une pucelle maléfique qui enjôle et paralyse Lancelot avec ses beaux discours...

Avec bien moins d'éléments factuels, l'auteur aurait pu susciter plus d'émotions, en recourant au sentiment de mystère symbolique qui baignait les romans de Chrétien de Troyes. Le combat contre le dragon est fort mal exploité, et les formes agressives et perverses de l'anima qui cherchent à piéger le chevalier sont décrites de manière assez plate, sans susciter la moindre once d'inquiétude.

Rigomer, par sa difficulté d'accès, est un lieu de l'autre monde, et son caractère transcendant n'est guère suggéré que par la longueur du pèlerinage pour y accéder. Les merveilles de Rigomer elles-mêmes ne sont pas bouleversantes. Tout au plus peut-on relever quelques indices d'un mauvais fonctionnement du l'interface conscient / inconscient, par exemple le caractère figé et répétitif du temps dans certains personnages: le chevalier qui doit recevoir une visite du jour anniversaire où il a reçu sa blessure, sinon il meurt; la dame de Rigomer elle-même, en attente de son mariage (résolution des enchantements dans un contexte d'assouvissement du désir sexuel).

Lancelot endure bien des malheurs, mais ne réussit pas à vaincre les enchantements. C'est Gauvain qui, avec l'aide de 58 chevaliers de la Table Ronde, va y parvenir, suscitant l'envie du Roi Arthur, qui lui-même va partir en quête... Le roman est à rallonge.

Dans le détail, le roman intègre plusieurs thèmes très archaïques du monde indo-européen: la sorcière sylvestre, le Roi Pêcheur blessé, le fou nu dans la forêt..., mais porte la marque de la peur aristocratique d'être déclassé: Lancelot ensorcelé n'est-il pas condamné à faire la cuisine ?

Ainsi, ce roman a-t-il un intérêt anthropologique et sociologique. Quant au plan littéraire, l'écriture n'est pas dépourvue de qualités, mais le frisson sacré du cycle de la Table Ronde s'y étiole, probablement pour satisfaire l'intérêt d'un public moins raffiné que celui de Chrétien de Troyes.
khorsabad
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le 14 févr. 2011

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