Voici un livre qui figurera à coup sûr dans mes favoris de 2019 tant je me suis passionné pour ce roman au point d’en faire durer la lecture. C’est un roman qui parle des rapports entre l’URRS et les États-Unis, de la foi politique, du poids de l’histoire sur les destins ou encore des liens familiaux. Mais c’est aussi l’histoire d’une femme époustouflante, une héroïne infiniment romanesque et complexe comme on en rencontre rarement.


Florence Fein vit à New-York et ne trouve pas sa place au sein de la société des années 30 dans laquelle elle vit. C’est la grande dépression aux États-Unis. Florence parle le russe et pour cette raison travaille comme interprète auprès d’un groupe de Magnitogorsk, (une cité industrielle de l’Oural ) venu faire affaire aux États-Unis. Sous le charme des yeux sombres de l’un d’entre eux, Sergeï, et persuadée que la vie en Russie a plus de sens, elle décide de quitter son pays. Elle se convainc que l’avenir est là-bas tout en espérant retrouver son amant. Mais les choses seront plus complexes qu’elle ne le pensait et son propre pays finit même par se détourner de ses ressortissants. Elle connaîtra la promiscuité des appartements collectifs, les suspicions constantes entre voisins et le goulag. Le roman alterne les époques et nous suivons aussi Julien son fils et Lenny son petit-fils. Julian, né en Russie, part pour les États-Unis dès qu’il en a la possibilité. Il fuir la politique des quotas de juifs qui l’empêche de progresser professionnellement. Lenny choisit quant à lui de repartir travailler en Russie dès qu’il a son diplôme. Malgré l’insistance de son père il refuse de revenir. A traverse ces trois générations, c’est un pan de l’histoire de la Russie qui nous est brossé et les liens complexes et ambigus entre les deux pays.



Elle n’avait pourtant pas pu faire autrement que partir. Là-bas, toutes ces années plus tôt, entravée par la culpabilité ancestrale, elle avait refusée de laisser ses désirs étouffer sous une rectitude abrutissante. Ce n’est pas qu’elle croyait que les choses ne changeraient jamais aux États Unis, elles changeaient déjà, même alors, tout autour d’elle. Mais qui aurait pu prédire ce qui allait advenir : les schismes; les guerres, les luttes raciales, cette « libération sexuelle » dont il est tant question aujourd’hui. Le féminisme…. Elle avait voulu sauter par dessus ces interdits et ces obstacles par dessus les préjugés et la bienséance, sauter des deux pieds directement dans le futur. C’est ce que l’Union Soviétique représentait alors pour elle. Un endroit où l’on vivrait déjà demain. …



C’est un vaste roman dans lequel les destins des personnages sont les proies des vicissitudes de l’histoire. Les chapitres alternent entre plusieurs temporalités et plusieurs générations de manière irrégulière pour mieux faire se répondre les époques. C’est à la fois un roman historique, un thriller, une saga familiale. Ce qui immerge très vite le lecteur dans le récit, c’est la très grande puissance romanesque de ce livre.


Les passages racontant l’histoire de Florence sont à la seconde personne alors que ceux dans lesquels Julian est adulte sont à la première personne. Le fait qu’il soit narrateur lui donne une place particulière. Il est le lien entre deux mondes, pas si éloignés finalement. Il est seul à ne pas adhérer à l’idéologie soviétique, à ne pas être attiré par l’idéologie. Il a perdu son père et était privé de sa mère pendant bien trop longtemps à cause du régime et cela le rend plus méfiant. Mais ses traumatismes d’enfance l’aveuglent néanmoins sur les motivations de sa mère et sur ce qu’a pu être le régime soviétique pour beaucoup à une époque. Il s’est construit en rejet de celui-ci, tout en continuant à travailler dans le pétrole, un domaine où la Russie et les États-Unis ont beaucoup de contacts. Aveugle, il l’est aussi au sujet de son fils qu’il n’arrive pas réellement à comprendre et qu’il blesse sans le vouloir. Il retourne en Russie pour tenter de faire revenir son fils, mais aussi pour chercher la réponse à une question qui le taraude depuis longtemps : pourquoi après que son mari a été tué et elle emprisonnée pendant huit ans, Florence n’a pas quitté ce régime qui l’a détruite ?


Lenny veut croire lui qu’il est possible pour lui de faire sa vie en URSS et ferme les yeux sur pas mal de choses. Il a en lui une part de Florence, il porte son héritage. On découvre à travers son personnage une part du régime actuel ou les oligarques ont la main sur tout et peuvent faire emprisonner leurs opposants.



« Il fallait qu’elle ait toujours un train d’avance, ta mère. Et tu sais ce qui arrive aux gens qui ont un train d’avance? ». Il m’a de nouveau fixé. « Ils se font écraser par le suivant ! »



Mais le personnage le plus fort est celui de Florence. Il m’est rarement arrivé de découvrir une figure de cette ampleur. Elle est pleine de contradictions, de bassesses mais aussi de grandeurs et d’idéalisme. Elle embrasse son époque avec une détermination teintée de naïveté très touchante. C’est une personne entière. Malgré les humiliations, les privations, les désillusions, elle reste fidèle à ce qu’elle est, au risque de se nuire à elle même. Ce n’est que diminuée physiquement, à la fin de sa vie, qu’elle accepte de renoncer. Elle est victime d’une forme d’emprise même si elle en est en partie consciente. Il y a une grande dissonance cognitive en elle, à l’image de la société soviétique de l’époque. Avec elle on comprend comment des amies peuvent en venir à se dénoncer, des collègues à ne plus oser se parler. On découvre un système judiciaire absurde et glaçant.



En bref, les Américains piégés en Russie, y compris mes parents, ne furent pas abandonnés. Ils ne furent même pas oubliés. Ils furent sacrifiés sur l’autel commun de deux superpuissances.



Cette histoire est basée sur une histoire réelle. Des centaines d’américains venus comme Florence dans les années 3O en URSS ont été abandonnés par le régime américain. Ils se sont alors retrouvés livrés à la terreur stalinienne sans possibilité de retourner dans leur pays. L’autrice s’est inspiré de la mère d’un de ses amis pour construire le personnage de Florence. On y découvre aussi l’antisémitisme soviétique au lendemain de la guerre. La vision politique du régime n’est pas compatible avec la religion et les juifs venus se réfugier en URRS pendant la seconde guerre mondiale sont très vite stigmatisés. C’est un régime politique basé sur la suspicion où les héros d’un jour sont les ennemis du peuple de demain et où les purges s’enchaînent. Difficile donc pour les citoyens de connaitre le sens du vent. Tout le monde devient potentiellement coupable.


La question de la loyauté envers une cause et d’aveuglement est omniprésente dans le roman. L’autrice fait s’interroger Julian sur les mouvements de masse et sur les mécanismes mis en place pour que les hommes abandonnent leur liberté pour une cause. Cela questionne le militantisme et les limites. Les travaux du philosophe Eric Hoffer sont cités. Il a notamment écrit un texte, Le vrai croyant, dans lequel il s’interroge sur les causes psychologiques du fanatisme de quelque nature qu’il soit. C’est à la lecture de ses écrits que Julian trouve, et nous donne, des clefs pour comprendre les choix de Florence.


C’est un très gros coup de cœur pour moi car j’ai trouvé dans ce roman des personnages inoubliables, une histoire passionnante et des questions stimulantes. Je vous en recommande très chaudement la lecture !

Anaïs_Alexandre
10

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Créée

le 21 août 2019

Critique lue 312 fois

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