Je crois que je suis jaloux des Anglais. Pourquoi, en France, nation si fière de sa culture, plus encore de sa littérature, et peut-être davantage encore de ses écrivains, pourquoi n'est-on pas capable d'écrire des livres comme celui-ci ?
Les Piliers de la Terre ne sont certes pas exempts de défaut. Le style de Follett, très simple, penche parfois vers le rudimentaire. La succession ininterrompue d'épisodes tragiques pendant près de 1000 pages est parfois désespérante (au sens premier du terme), d'autant que les antagonistes sont les mêmes tout au long du roman et que même le lecteur le plus pacifique se prend parfois à penser "Mais égorgez-les bon sang !"
Car chez Follett, l'homme, par sa violence, son avidité, est le premier responsable de son malheur et de celui des autres. Ce qui caractérise le Moyen-Âge, ce ne sont pas des masses humaines en proie aux fléaux de la nature (mauvaises récoltes, famines, froid, maladies) mais bien l'absence de lois et d'état de droit digne de ce nom, et donc le règne, inique, du plus fort et du plus machiavélique.
J'en reviens à ma diatribe initiale. Follett est un conteur exceptionnel, et j'imagine qu'il faut bien d'autres qualités pour produire un roman comme celui-ci. Pour autant, il n'est pas un génie de l'écriture. Pourquoi, donc, n'y a-t-il pas en France des femmes ou hommes pour produire des romans semblables, à la fois faciles à lire et attrayants pour un large public, humains, captivants, et toutefois assez rigoureux et intelligents pour être crédibles ?
Il me semble que notre pays est composé de littérateurs bien plus que de conteurs. Au fond, nos écrivains ne sont que médiocrement intéressés à l'histoire qu'ils racontent (si tant est que cette histoire existe). Ce qui les intéresse, c'est ce que l'histoire dit au-delà d'elle-même, non seulement sur le monde ou sur une idéologie quelconque, mais encore et surtout sur eux-mêmes : sont-ils de bons écrivains ? Seront-ils reconnus comme tels ?
Cela se ressent dans leur style, souvent inutilement pompeux, ou devrais-je dire précieux. Et même ceux dont le style est simple et direct, on a l'impression qu'il est 'précieusement' simple. (Qu'on m'entende bien : je ne plaide pas ici pour la mort du style. Flaubert ou Gracq font partie de mes écrivains préférés; mais si je pense à eux il me semble que leur style et leur propos ne font qu'un, comme cela devrait toujours d'ailleurs être le cas).
Où sont nos conteurs universels, nos amoureux d'histoires, qui pourraient concilier les lecteurs de Pancol et de Chateaubriand ? Partis, sans doute, vers une littérature de l'imaginaire plus ouverte, plus éclectique, et moins soucieuse d'elle-même que les littératures réalistes et historiques. Ou tout simplement désespérés, morts-nés avec leurs œuvres. Allons, ne perdons pas espoir. Un jour, le règne du tout à l'ego prendra fin et la Renaissance arrivera.