Le début est laborieux, les premières pages s'égrènent difficilement au rythme des descriptions qui laisseront heureusement leur place au récit lui-même par la suite. On assiste au retour de Tom Joad au sein de sa famille après un séjour en prison, et comme lui on découvre (lui le redécouvre) un univers désolé, triste, quasi apocalyptique. Une région dans laquelle la poussière recouvre tout, dans laquelle la faim tiraille les estomacs, où les pasteurs ont des crises de foi, où les tracteurs chassent les gens. Au sens strict du terme puisque les maisons sont démolies par ces engins motorisés où l'âme du conducteur semble se fondre dans la mécanique.
Steinbeck retranscrit le ressenti des agriculteurs qui sont frappés de plein fouet par la montée du capitalisme ; ogre sans tête visible, contre lequel on ne peut lutter car, le roman l'exprime si bien, il n'y a pas de personne physique au sommet de la chaîne contre laquelle se rebeller.

Alors il faut partir en Californie, terre fertile, paysage de rêve, où les orangers abondent pour briller dans les yeux des émigrés fatigués, où le travail réclame des milliers de mains besogneuses, où le cinéma promet des heures de détente en famille. Images de prospectus, loin de la réalité.
Le trajet est laborieux, l'interdiction pour Tom de quitter le territoire pèse comme une épée de Damoclès sur les épaules de sa mère, la crainte des ennuis mécaniques sur celles de Al ; certains abandonnent (Connie et l'un des frères de Tom), certains flanchent par instant (l'oncle John), les rencontres se font et se défont, d'autres meurent (les grands-parents) sans que l'on ai le temps de les enterrer convenablement et de les regretter. Las ! Le deuil sera pour plus tard.

Le style de l'auteur nous rappelle sans cesse le manque d'éducation voir l'illetrisme de ses personnages mais l'on admire avec d'autant plus de ferveur leur courage, leur abnégation, on s'amuse de voir la mère prendre les choses en main dans un foyer habituellement patriarcal quant à l'autorité, masculin quant à la prise de décision.
Il y a des moments de répit pour ces braves, comme quand ils trouvent une place dans un camp du gouvernement. Steinbeck en profite pour faire l'apologie d'un système politique et sociétal où les "citoyens" se dirigent et se régulent de par eux-même, sans aucune police critiquée pour sa violence et son manque d'humanité.
Mais la joie est de courte durée car le travail n'est pas là et les fonds viennent à manquer. Le cheminement reprend, les épreuves aussi.

Le récit s'arrête de manière abrupte, sans que l'on sache le destin qui attend notre famille de Okies ; comme une parenthèse fermée sur une tranche de vie. Point de happy end, pas de fin à vrai dire. Comme la poussière recouvrant toute chose, on la dégage mais elle revient inlassablement. Cela ne termine jamais.
ngc111
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le 17 mai 2013

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