Il est des livres qui se transmettent sous le manteau. Non pas parce qu’ils sont violents, pornographiques, ou rebutants, mais parce que l’on craint que le passage d’un tel livre à la lumière ne l’abîme. C’est le cas des Saisons de Maurice Pons, publié pour la première fois en 1965. Sur Babelio, le livre obtient la note moyenne de 4,35 sur 5 et figure dans des listes comme « Les romans les mieux notés » et « Le livre que vous avez le plus souvent conseillé ». Si l’attrait pour Les Saisons est tel, il faut sûrement en blâmer son caractère inclassable.
Siméon, jeune homme ayant perdu sa sœur, débarque seul dans une vallée perdue. La communauté qui y vit s’organise autour de la production de lentilles, seul aliment qui parvient à germer dans cette contrée où les étrangers ne sont pas forcément les bienvenus. Alors que les jours de pluie se succèdent et que la saison du gel bleu prend le pas, Siméon essaye coûte que coûte d’écrire le livre dont il a le projet. Au risque de se frotter à l’hostilité des habitants.
Au fil de ce texte d’une grande détresse, Maurice Pons décrit un paysage lunaire, un climat aride, des mœurs étranges, des autochtones repoussants. Si la laideur imprègne tout le roman, la beauté de l’écriture fait pourtant ressortir une poésie qui se cachait sous tous ces détritus.
« Ce que je dois écrire n’est pas beau en soi. Je puis bien vous
l’avouer, ce sont des horreurs que je dois décrire, des horreurs et
des souffrances surhumaines – comme par exemple la mort de ma sœur
Enina – et c’est à travers cette horreur que je dois atteindre la
beauté, une beauté qui purifiera le monde, qui en fera sortir tout le
pus, mot à mot, goutte à goutte, comme d’une burette à huile. »
Cette étrangeté fait penser à Kafka, ce voyage final à La Horde du contrevent d’Alain Damasio, cette laideur métamorphosée en beauté à Baudelaire, ce climat hostile aux Hauts de Hurlevent, etc. Tout se mélange pour donner naissance à un cauchemar que seul Siméon, parce qu’il vient d’ailleurs, parce qu’il est poète, peut transformer en rêve. Un autre monde est peut-être possible.
« Siméon s’assit, et elle le servit. Jamais les lentilles ne lui
avaient semblé si sèches, ni si dures. Et tandis qu’il mangeait en
silence, tandis qu’en silence la veuve à coups de pieds rassemblait à
nouveau le troupeau de ses bûches derrière le fourneau, il repensait à
cette vieille femme gelée pour quarante mois dans son eau, à ces gros
oiseaux qui s’abattaient sur la glace comme des pierres, à cette
petite grenouille aplatie et rigide que lui avait montrée Louana. Il
imaginait le carcan de glace qui serrait le pays à la gorge. Il
imaginait la peine des villageois et leur détresses cachées. Était-ce
mieux ? Était-ce pire que tout ce qu’il avait connu ailleurs ? »