Reconstitution très vivante d'une période qui continue d'exercer une influence magique sur les lecteurs, les yeux fardés est avant tout une histoire d'amour hors du commun.

Il s’agit donc d’une chronique sur une période très spécifique de l’Espagne (les années 30 puis la guerre et l’après-guerre) et d’une belle histoire d'amour entre deux jeunes de la Barceloneta, un modeste quartier de travailleurs et sa communauté solidaire. La manière dont Llach entremêle un sujet très dur et violent avec la délicatesse d'un amour en principe prohibé est tout simplement magistrale. En plus de décrire des aspects essentiels de la Catalogne de la première moitié du XXe siècle, le roman devient un hommage à tous ceux qui ont souffert de la guerre civile et de l'exil.

La structure narrative du roman est basée sur la conversation du Germinal maintenant très âgé avec un réalisateur qui voudrait réaliser un film sur cette époque. De cette manière, chaque enregistrement forme un chapitre construit comme une courte histoire de l’histoire linéaire que raconte le protagoniste au fil de sa narration.

Dans un premier temps l’auteur s’attache à la description du quartier de la "Barceloneta" de cette époque, un humble quartier de pêcheurs (ou j’ai moi-même passé les années 70) où les quatre amis et leurs familles étaient unis par des liens d'affection qui nous paraissent parfois peu crédibles en ces temps de nouvelles technologies où tout est si individualisé et où l’on prête bien peu d'attention au voisin d'à côté.

Dans la deuxième partie se concentre sur les événements historiques comme le soulèvement militaire, les divergences politiques et fatales de la gauche, les bombardements de Barcelone, le recrutement de très jeunes garçons pour remplacer les derniers soldats comme chaire à canon lors de l’épouvantable bataille de l'Èbre. C’est très dur. Cependant, LLach nous parle de cette guerre sans prendre parti pour un des camps, il y a des hommes bons et des méchants de deux côtés.

S’ensuit l'entrée des nationaux dans la ville, la fuite vers la France, la répression cruelle et violente, racontés avec une rigueur impartiale et présentés comme une terrible et sanglante erreur fratricide ou la droite franquiste montre son côté monstrueux.

Mais c’est surtout comment ces dramatiques évènements vont broyer les personnages dont on a fait connaissance dans la première partie, en particulier le couple de garçons amoureux qui bouleverse comme rarement les romans le font. C’est cru et très cruel mais malgré tout empli d’émotion et très beau. Car ce qui compte vraiment dans ce roman ce sont personnages et leur sentiment.

Le récit dégage un réalisme impressionnant, avec l’utilisation d’une prose simple et directe et des descriptions d’une grande force. Mais il contient aussi des passages d'une beauté extraordinaire, notamment ceux consacrés à parler de ce microcosme qu'était la Barceloneta (que Llách connaît et recrée si bien) et des sentiments des personnages. Les adieux de l'amie qui émigre en Argentine avec ses parents, la vision du père comme être supérieur, les gens qui arrivent désorientés à la gare de Barcelone, les attentats à la bombe, la mort de l'autre amie, les rencontres sexuelles, les soldats en la bataille de l'Èbre, le sort de David…. Des images qui restent enregistrées dans notre rétine même si ce ne sont que des mots. La vengeance finale est peut-être la scène la plus « romancé » aus sens Dumasien du terme, mais cela n’enlève rien à l'intrigue dans son ensemble, et sert même à amplifier le drame et contribue au goût doux-amer que nous laisse finalement cette magnifique histoire. Elle est aussi une petite rédemption pour le protagoniste tourmenté.

De nombreux romans ont été écrits sur la guerre civile espagnole et la période qui la précédée et suivie. Celui-ci fait mouche car au-delà de la description des années de la Seconde République, de la lutte, des idéaux, dépassés par le déclenchement de la guerre, les batailles et le ridicule, reste l'amour inconditionnel des deux amis.

Un amour qui peut tout et qui n'est pas tronqué même par la mort. L'homosexualité n'a pas d'importance, la distance ou la douleur n'ont pas d'importance.

Un très bon livre, intelligent, duret tendre à la fois.

#henrimesquida #cinemaetlitteraturegay

HenriMesquidaJr
8
Écrit par

Créée

le 7 mars 2024

Critique lue 2 fois

HenriMesquidaJr

Écrit par

Critique lue 2 fois

D'autres avis sur Les Yeux fardés

Les Yeux fardés
HenriMesquidaJr
8

Critique de Les Yeux fardés par HenriMesquidaJr

Reconstitution très vivante d'une période qui continue d'exercer une influence magique sur les lecteurs, les yeux fardés est avant tout une histoire d'amour hors du commun. Il s’agit donc d’une...

le 7 mars 2024

Du même critique

Jonas
HenriMesquidaJr
8

Critique de Jonas par HenriMesquidaJr

Magnifique premier film d'un jeune réalisateur ultra talentueux et plein d'avenir. Je l'ai vu en avant première, les acteurs sont tous formidables et bien dirigés, le scénario est malin et tient en...

le 16 sept. 2018

10 j'aime

L'Œuvre au noir
HenriMesquidaJr
9

Critique de L'Œuvre au noir par HenriMesquidaJr

Pour commencer, si vous avez l'intention de lire ce roman et que vos connaissances historiques sont faibles, il va vous falloir réviser. Je pense très sincèrement qu'il est indispensable de bien...

le 12 mars 2017

9 j'aime

2

Werewolf
HenriMesquidaJr
8

Critique de Werewolf par HenriMesquidaJr

Attention pas de loup garou dans ce film qui n'est pas non plus un film d'horeur mais un drame psychologique. Nous sommes en 1945. La guerre vient de se terminer mais les premières semaines de paix...

le 2 oct. 2019

8 j'aime