"Dying is an art, like everything else. I do it exceptionnaly well."

Je n'avais jamais vraiment entendu parler de Claude Pujade-Renaud avant qu'elle ne vienne pour une rencontre organisée à la librairie où je travaille. Et c'est en cette même occasion que j'ai appris qu'elle avait écrit un roman sur Sylvia Plath, auteur, poète, que j'admire depuis quelques années maintenant. J'ai regretté de ne pas avoir déjà lu le roman en question, car je réalise maintenant que j'aurais bien voulu en discuter avec elle, d'autant plus que c'est une personnalité extraordinaire, et que la rencontre a été très réussie.


J'ai abordé pour la première fois l'oeuvre de Sylvia Plath en 2011, pendant un cours d'anglais. Je suis tombée amoureuse de son oeuvre, de sa plume, mais aussi de sa personnalité. Je me suis sentie proche d'elle immédiatement, et ce grâce à deux traits communs : la poésie et la dépression. Bien sûr, je n'atteindrai jamais son génie, ni, je l'espère, son désespoir. Lady Lazarus est le poème qui m'a le plus parlé, et aujourd'hui encore, je le connais par coeur. C'est un texte qui résonne profondément en moi.


Avec Les femmes du braconnier, je découvre aujourd'hui en pan de sa vie auquel je ne m'étais pas encore intéressée. Je connaissais Sylvia la dépressive, Sylvia la créatrice, mais pas Sylvia l'épouse ou la mère. Claude Pujade-Renaud nous fait le portrait, à travers plusieurs voix, de cette femme fascinante, plus vivace dans la mort que dans l'existence. Elle sait décrire le plus haut comme le plus bas avec une justesse impressionnante, comme par exemple quand, par le biais de la voix de la mère de Sylvia, Aurélia, elle se demande comment cette femme, qui se voyait vieille entourée de ses enfants, avait pu, quelques jours plus tard, décider de façon irrévocable de mettre fin à ses jours. Elle ne comprend pas, et seul quelqu'un qui a connu la dépression le pourrait. Comment concevoir que l'on puisse à la fois être plein de projets et en même temps être dévoré par des pensées mortifères ?


Mais ce livre n'est pas seulement à propos de Sylvia Plath, quoique même morte, son ombre envahisse encore le roman et ses autres personnages. Non, car ce sont bien les femmes, et non la femme, du braconnier, Ted Hughes, qui s'affrontent.
Assia n'arrive que plus tard dans le texte. On ne comprend pas tout de suite quel va être son rôle, ni l'attirance que Ted a pour elle - du moins, je ne l'ai pas forcément comprise jusqu'à ce qu'elle soit décrite comme une sorte d'Elizabeth Taylor, dès lors, c'est devenu plus évident. Elle aussi a ses blessures. C'est le portrait en négatif de Sylvia. L'une est aussi brune que l'autre est rousse, presque blonde. L'autre est aussi nourricière que l'une est stérile. Quand Sylvia se complaît, ne trouve de véritable félicité qu'en enfantant, se surnommant elle-même la "femme-montagne", Assia se fait avorter dès qu'elle sent s'éveiller en elle le moindre embryon. Mais toutes deux, pourtant, recèlent un charme animal, presque primaire, et quelques démons bien sûr.
On a envie de détester Assia : c'est une croqueuse, une voleuse d'hommes. Et pourtant, ses blessures ne sont pas moins nobles que celles de Sylvia. Elle souffre de n'être qu'un ersatz de cette femme : elle ne sera jamais aussi talentueuse, elle se retrouve, un temps, mère de substitution des enfants de cette femme, vit dans son ombre, dans son appartement, dort dans ses draps, mange dans sa vaisselle, et ne passe dans les bras de Ted Hughes qu'après elle.


Et enfin, épicentre de ce trio - infernal, ai-je envie de préciser, Ted Hughes. Ted le braconnier, aussi animal que chasseur. Attiré comme effrayé par ce qu'il appelle le "rayonnement mortel" de Sylvia. Un poète lui aussi. Écrivain consciencieux, régulier, aux yeux de Sylvia qui se désespère quand elle connaît cette angoisse de la page blanche qui ne semble jamais le toucher lui. Elle rencontre Ted et voit en lui son âme soeur, sa raison de vivre. Elle s'enferme dans le bonheur conjugal sans se rendre compte qu'elle construit sa propre prison. Mais Ted est un esprit sauvage que ne peut prospérer en captivité. Un animal oui, mais un animal sauvage.


Claude Pujade-Renaud nous fait rencontrer des êtres fascinants de complexité. Elle plonge au coeur de l'esprit, sans ôter à l'oeuvre de Sylvia Plath son étrange mysticisme, ni sa profondeur. Elle n'analyse pas ses personnages et nous laisse le soin de les comprendre - ou non. Je n'ai peut-être pas eu l'idée du siècle en lisant ce livre alors que moi-même j'expérimente une nouvelle période de dépression, mais on se laisse glisser dans ce roman comme on se laisse glisser dans la mélancolie... Et parce que me reviennent sans cesse en tête les vers de ce poème que j'aime tant : Lady Lazarus.


Lady Lazarus, lu par Sylvia Plath.

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le 18 mars 2016

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