Lolita
7.9
Lolita

livre de Vladimir Nabokov (1955)

C'est dégueu-las-se ! Mais bien écrit. Mais dégueulasse. Mais bien écrit. Mais dégueulaaaasse. Mais.

En lisant quelques critiques sur Sens Critique du Lolita de Nabokov, je m'aperçois que ce livre pose très bien le débat de la distance critique avec le narrateur.


Je ne vous ferait pas l'affront de vous résumer le roman. Wikipédia est là pour ça.



Je pense qu'il y a deux types de lecteurs de Lolita :



Les premiers sont ceux qui suivent le regard du personnage d'Humbert Humbert. Ils sont fasciné par Lolita comme l'est le personnage principal, qu'ils aient ou non une attirance pour les jeunes filles. Lolita est l'image d'un fantasme et le roman en fait une sorte d'apogée romantique. Certains en sont dégoutés (je viens de lire un "Nabokov = pédophile" parmi les avis sur le côté) d'autres éprouves un certains charme par la transgression de l'interdit. C'est le cas de Serge Gainsbourg, dont certaines chansons sont émaillés de référence au texte de Nabokov.


C'est à eux qu'on doit finalement le côté un peu "positif" qu'a pris l'adjectivistion du prénom lolita et sa dilution dans le langage courant et sur internet (j'avais fait une vidéo là dessus...) Rien que le fait que des gens, dont le chanteur Renaud, aient nommés leur fille Lolita après ce livre, marque une forme d'une transformation kawaï du terme. L'histoire de la course d'un homme obnubilé et détruit par une enfant corrompu.


C'est amusant que certains aillent jusqu'à se plaindre du fait qu'un tel livre ne pourrait pas être écrit de nos jours sans provoquer des problèmes, oubliant que Nabokov en a eu pas mal lors de l'écriture de son livre et que le manuscrit fut refusé par de nombreuses maisons d'éditions. D'ailleurs, le premier éditeur du roman était plus ou moins "nympholepte" et pensait que celui-ci ferait changer les mentalités.


Les seconds prennent de la distance avec Humbert Humbert en se disant qu'on est en train de lire le récit d'un fou et que comme les personnages de Brest Easton Ellis il va falloir mettre pas mal de choses en doute. D'ailleurs le roman part parfois dans des délires incompréhensibles et l'introduction montre qu'il s'agit bel et bien du récit écrit par un type qui a été interné.


Personnellement, j'ai lu Lolita comme l'histoire d'un pédophile qui abusait d'une jeune fille mais se donnait le beau rôle. Jamais je n'ai vraiment eu l'impression qu'elle l'aguichait et dans la deuxième partie il est évident qu'elle n'a absolument pas envie de lui et que ce qu'il prend pour des "moues boudeuses" ou des caprices d'adolescente mal élevée n'est en fait qu'un moyen de dire non. D'ailleurs, plus on lit ce livre entre les lignes et plus ça devient immonde : les personnages croisés par Lolita et Humbert Humbert sont tous des pervers en puissance notamment le voisin qui joue aux échecs (sans doute attiré par les petits garçons) et vers les deux tiers du livre....


Humbert se fait voler Lolita par un type encore plus pervers et décadent que lui. Et, comble de l'affront, en tombera amoureux.


Ha et dans un passage Humbert envisage de faire un enfant à Lolita et espère que ça sera une fille, bavant par avance sur la possibilité de faire des avances à "Lolita II." Joseph Fritzl style.


De nos jours, le récit de Nabokov peut se lire comme un livre sur le "male gaze" et sur la culture du viol. Notamment sur la façon dont un homme peut se couvrir de justifications : Elle pleure après leurs ébats, dit clairement "tu m'a violé" à Humbert au détour d'une phrase et ils finissent carrément par monnayer ses "devoirs conjugaux" mais non.... le personnage estime que c'est de l'amour. Au mieux il met ça sur le "mauvais caractère" de la fille mais jamais ne se pose la question du consentement. "Après tout c'est elle qui m'a fait des avances." Le tout est enrobé des envolées lyriques sur le fait qu'il idéalise Lolita. Lolita est un objet pour Humbert qui ne comprend pas qu'elle n'agisse pas comme il le veut.



Un livre fichtrement bien écrit :



Alors que je disais "c'est dégueulasse" à voix basse tout en parcourant le livre, celui-ci est incroyablement bien écrit. Le fait que Humbert Humbert nous paraisse sympathique malgré toutes les horreurs qu'il a fait ou qu'il a tenté de faire (il envisage par exemple de tuer la mère de Lolita...) est un tour de force. Mais il y a aussi la description de l'amérique des années 40/50, avec ses banlieues faussement tranquilles, ses camps de jeunes filles pervertis, ses collèges de faux-cul et ses motels. Ses putains de motels minables dans lesquels vient tout ce qui se fait de pire sous le vernis d'un accueil confortable.


Le roman est bourré d'allitération, de bons mots, de passages poétiques, déployant une narration parfois complexe mais toujours très prenante à lire. Il prend petit à petit la forme d'un polar et j'étais très souvent étonné de la virtuosité du romancier et après la post-face j'ai été attiré par son tour de force :


Le destin, affreux, de Lolita nous est révélé au tout début du roman dans la préface du psychiatre fictif ayant fait éditer le livre. Mais comme son nom est devenu "Mrs. Richard F. Schiller" et qu'il apparaît au milieu d'une liste, on ne s'aperçoit même pas et on finit par oublier avoir lu qui nous semblait être un détail. L'héroïne du roman est tellement transformé en objet qu'elle n'a même pas le droit à une fin correcte. Et meurt sans avoir atteint les 18 ans.


Bref : Assez rebuté au début du roman, estimant que le délire pédophile n'était pas du tout mon trip, j'ai fini par y rentrer pleinement, par cette forme de fascination pour les criminels et par la façon dont ils peuvent se justifier. Et par la trame sous forme de polar. C'est paradoxalement bien écrit ET nauséabond.

le-mad-dog
8
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le 27 sept. 2016

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Mad Dog

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