Peau de pêche et mue-tation

C'est lors d'une conférence intitulée "la SF, miroir du réel ?" que j'ai découvert Chi Ta-Wei, j'avais notamment profité de sa présence pour lui demander de dédicacer l'exemplaire de Membrane que j'achetais ce jour-là.

Momo, ou pêche en japonais, le nom donnée à l'héroïne en honneur à la légende japonaise d'un enfant né dans une pêche nommé Momotarô, et aussi en lien avec une croyance de la tradition chinoise stipulant que deux personnes partageant une pêche sont promises à une amitié extraordinaire. Un nom proposé par l'ancienne compagne de la mère de Momo.

La peau constitue un thème central de l'œuvre. Momo est esthéticienne, elle couvre ses clients d'une invention nommée M-skin, une sorte de peau bio-organique avec laquelle elle les couvre et qui lui permet d'apprendre beaucoup de la vie intime de ses clients grâce à la mémoire de cette membrane. La peau est un organe visible, elle représente le rôle que nous sommes contraints d'endosser dès notre naissance, et ce indépendamment de notre volonté et/ou de nos questionnements. Une allégorie de l'identité et l'expression de genre illustrée par plusieurs exemples, comme le passage du placenta qui enveloppe les chiots qui viennent de naître : une membrane qui les étouffe si on ne les en délivre pas une fois qu'ils ont quitté le ventre maternel.

À ses 10 ans, Momo est séparée d'Andy par sa mère. Andy est son amoureuse, la petite fille qui lui sectionne le pénis, mais qui n'est en fait qu'un androïde attitré, autrement dit une banque d'organes pour le corps médical. Cette séparation poussera Momo vers une solitude aggravée par l'isolement causé par sa maladie et qui, une fois guérie, l'amènera à couper les ponts avec sa mère, avant de devenir une esthéticienne renommée bien plus tard. C'est du moins le fond de l'intrigue, qui évoluera petit à petit vers un dénouement aussi surprenant qu'émouvant.

Le rapport au monde y est vu comme conflictuel, hostile, aussi bien dans ce rôle qui nous est assigné par la société que par les conditions climatiques démentielles à la surface de la Terre. En effet, en raison du réchauffement climatique, les humains ont été amenés à se réfugier dans des villes subaquatiques au fond des océans.

Cependant, le registre SF ne fait que servir le propos. En effet, ces conditions catastrophiques et cette société réinventée, ces technologies de scanner et d'androïdes ne sont qu'un décor. Au-delà d'un roman de SF queer où les questions sur la sexualité et l'identité de genre n'échappent à personne, les critiques parlent moins souvent de la relation de Momo et sa mère, qui est pourtant, à mon sens, l'un des thème principaux de l'œuvre.

Car oui, la relation entre Momo et sa mère se présente comme LA relation de l'histoire. Une relation qui évolue sur fond de conflit et qui déplore le manque de considération. Le professionnalisme qui empiète sur la vie personnelle et qui dévore le lien entre une mère carriériste et son enfant s'avère vite nocif pour la vie familiale. La construction du Moi sans le tutorat parental résulte à une perdition pour l'enfant et mène Momo à un questionnement constant, non pas sur sa sexualité, mais sur son rapport au monde et aux autres (malgré son statut professionnel plutôt exemplaire, elle semble n'avoir aucune relation amoureuse ou sentimentale depuis sa séparation avec Andy).

En outre, dans Membrane, nous découvrons un transhumanisme mis en parallèle avec la transsexualité, un "roman SF queer" plus queer que SF.

Cette œuvre peut s'avérer poignante pour les personnes sensibles à la question de genre, aux problèmes de santé aggravés, et à la relation d'une mère à son enfant.