La série Histoire de la Terre du Milieu poursuit son bonhomme de chemin chronologique, toujours avec Christopher Tolkien aux manettes : après les brouillons du Silmarillion pré-Seigneur des Anneaux (volumes 1 à 5) et les brouillons du Seigneur des Anneaux (6 à 9), on entre ici dans la période la plus féconde et la plus maîtrisée de Tolkien : les années 1950-1960, qui le voient revenir aux textes du Silmarillion.
Ce tome 10 et son successeur, The War of the Jewels, sont particulièrement importants parce qu'ils nous permettent de découvrir enfin les briques à partir desquelles Christopher a construit, tant bien que mal, le Silmarillion qu'il a publié en 1977, quatre ans après la mort de son père. Il revient fréquemment sur les choix qu'il a dû faire, souvent délicats, et découvrir l'envers du décor permet de mesurer la complexité du travail fourni, tant de la part du fils que de celle du père : les notes de J. R. R. sont pleines d'interrogations, de doutes, de ratures, de revirements, donnant plus que jamais de la Terre du Milieu une vision fracturée.
Et, caché au milieu des brouillons et variantes de l'Ainulindalë ou de la Quenta Silmarillion (certains particulièrement intéressants, et offrant un nouveau regard sur plusieurs événements, au premier chef desquels l'histoire de Finwë et Míriel), on trouvera également ici l'un des plus beaux textes de Tolkien : l'Athrabeth Finrod ah Andreth, dialogue philosophique entre un prince des elfes et une érudite humaine (deux personnages campés avec maestria) sur le destin de leurs races respectives, la mort et l'immortalité, et l'espoir. S'il vous faut un contre-argument massue à assener sur le crâne des bornés pour qui Tolkien n'est qu'un auteur de fantasy de plus, ne cherchez pas plus loin.