« Selon la formule consacrée : si tu lis ces quelques lignes, c'est que je ne suis plus de ce monde. Mais au fond, et même si cela ne t'est pas une consolation, sache qu'il y a déjà longtemps que je l'ai quitté. Ce monde. Celui que toi et moi connaissions. Dès l'instant où j'ai posé le pied sur ce continent, j'ai cessé de lui appartenir. »


Ce texte est une conversation posthume entre Alice et Fanfan, son frère disparu il y a 50 ans pendant la guerre d’Algérie. De lui elle a récupéré une lettre et trois carnets, un jour d’août 1964. Une sorte de journal intime, sans dates. Décousu. Un journal dans lequel Fanfan couchait l’indicible, ses états de service de bourreau pour l’armée française. Sûr de lui, de sa force, de son bon droit, de la justesse de sa cause. Torturer pour obtenir des informations, lutter contre les terroristes, sauver des vies. Alice répond à son fantôme. On devine la relation fusionnelle avec ce frère qui était tout pour elle. Elle le prend à partie, cherche à lui ouvrir les yeux, reste persuadée qu’elle aurait pu le remettre dans le droit chemin s’il était revenu vivant : « Ils t’ont dressé, Fanfan. Obéir, aboyer, mordre. Tu te croyais maître de ta destinée, tu n’étais que chien. […] Même dans cet état, je t’aurais repris tu sais. Recueilli. Réadopté. Réadapté. »


A travers les reproches, une tendresse infinie affleure de la part de cette sœur marchant sans cesse au bord du vide. Une famille à jamais déchirée par cette disparition, une vie de solitude et de tristesse, un mariage raté… Alice a traversé des décennies sans parvenir à tirer un trait, à oublier celui qui est resté à jamais son seul et véritable amour.


Marcus Malte cogne comme il en a l’habitude, il appuie là où ça fait mal. Il dit le chagrin, la mélancolie, l’incompréhension, mais aussi le souvenir des moments passés ensemble. Il montre un homme face à la barbarie, faisant partie de cette barbarie, la légitimant même. Il raconte une histoire de deuil impossible, portée par une écriture d’une puissante sobriété. J’avais eu l’occasion de découvrir cette collection croisant littérature et photographie grâce au très beau texte de Thierry Magnier, « Ma mère ne m’a jamais donné la main ». Ce « Mortes saisons » confirme que la recette fonctionne à merveille et que le dialogue s’instaurant au fil des pages entre texte et images n’a rien d’artificiel, bien au contraire.

jerome60
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le 18 juin 2015

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